Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles Plurielles
14 septembre 2007

Fenêtre avec vue (Lea)

 

L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle est en avance. Une horloge de gare, ça n'a jamais été très précis. Il pleut et je n'ai pas de parapluie. Cela dit, je n'ai pas de chaussures non plus. Juste un vieux sweat shirt bleu marine et un jean tout collant. J'ai les cheveux trempés, je grelotte de froid, et mes bras autour de mon torse n'y peuvent rien. Il y a des gens, qui passent et qui repassent, qui me frôlent et me bousculent, mais pas un ne me regarde, je suis transparente, un peu comme un clochard en plein Paris, mourant de froid un vingt quatre décembre au soir.


J'ai l'air d'une junkie en manque. Voilà six jours que ma vie a comme disparu dans un énorme trou noir. Je crois que je vivais à Amiens, avant. Je n'ai pas mangé depuis longtemps. Ma vie repose désormais sur cette horloge qui avance.

Je regarde enfin autour de moi. Je ne sais pas où je suis. Devant moi, il y a cette gare, avec cette tour immense, comme un clocher d'église, constellée de petites lucarnes ovales où la crasse s'amoncelle. C'est tout.


L'horloge indique vingt deux heures quarante trois. Mes dents claquent et mon ventre se rétracte tout seul, comme si tout ce vide l'affolait. Je dois vraiment avoir l'air paumé, complètement désespéré. J'en ai les larmes aux yeux. Mais avec la pluie qui continue de tomber, ça ne doit pas se voir. Tant mieux. Mes yeux s'aventurent. Une des fenêtres de la tour de brique est ouverte. Ça me rappelle mes cours de lycée. Une fenêtre ouverte est un symbole d'espoir et de liberté. Je détourne les yeux, comme le fait le vagabond devant la vitrine d'une pâtisserie. Pour oublier tout ce qu'il n'a pas.


Et puis il y a ces grands yeux bleus. Je les vois malgré l'obscurité qui s'installe. C'est le premier regard que je croise depuis bien longtemps. La misère entraîne l'indifférence du monde. Vous pouvez bien crever à sa porte, du moment que vous ne faîtes pas trop de bruit. Mais lui il me regarde. Rien que ça, c'est une victoire. Une sorte de reconnaissance. Les Yeux Bleus continue son chemin. Ce n'est pas lui qui me ramassera, en fait. Pas cette fois.


Publicité
Commentaires
M
un beau texte émouvant et si juste ! une belle écriture en plus ! bravo
A
Moi aussi j'ai trouvé ce texte superbe. Etre capable de prendre le regard de l'autre, voilà ce qui est important.
I
Il est très poignant ce texte... et nous donne honte à nous qui croisons ou plutôt évitons de croiser ces regards..
P
léa, j'ai bien aimé ton tete. il est bien écrit, ça coule de façon fluide. les descriptions sont pertinentes, bref, tu réussis à scotcher ton lecteur, et c'est gagné :)
J
Nous nous donnons bonne conscience dans nos écrits en râlant contre ces regards indifférents ou méprisants....mais, ces regards, ce sont les nôtres....<br /> <br /> Pourquoi nous détournons-nous ! tout simplement par honte, de ne pouvoir aider...sinon, ne vous gênez pas..dès que vous croiserez une de ces personnes, invitez là chez vous, donnez lui à manger, prêtez lui votre salle de bain....<br /> <br /> Je me souviens de ce qu'un monsieur nous a racontés..Un jour, ce monsieur a eu pitié d'une de ces personnes..l'a emmenée dans un de ses appartements..lui a dit qu'elle pourrait y rester quelques jours...et bien, 4 ans après, la personne était toujours dans les lieux et impossible de récupérer le logement pour y mettre son fils étudiant..Les meilleurs volontés sont mises à rude épreuve...<br /> Cela étant dit, un beau texte..la preuve, ça nous fait réagir....
Publicité