Rêve éveillé. ( Largo )
L'horloge indique vingt deux heures trente, mais elle avance. Elle vit même en horaire décalé et se croit aux antipodes. Je suis à mon rendez-vous de dix heures.
Ce matin, les rideaux sont grand ouverts comme les yeux de hibou de la superbe façade d'en face qui me regarde sereine, presque bienveillante et humaine. Son visage est curieux, facétieux. Ses volutes baroques en pierre bleue la coiffent d'un chapeau d'Arlequin. Un sourire de Joconde lui donne une douceur toute féminine Rien d'étonnant avec ces coquins petits balcons ronds pigeonnant à la Gaudi.
La Joconde minérale me détaille étendu sur le divan, drapé dans un silence interminable. Le toubib derrière moi se cache. Il veut sans doute se faire oublier, pour que je me livre. Jusqu'à présent, le strip-tease de l'âme de mon inconscient ne m'apprend pas grand-chose. Juste peut-être que j'apprécie le jeu fantasque des formes et des rondeurs. Et c'est vrai : je suis sensible à la sensualité de l'architecture.
La psy reste sans la moindre réaction. Pas le moindre petit reflet à l'escapade de mon imagination. Pourtant, moi, je la sens. Je la devine dans mon dos. J'entends ou je rêve de son souffle imperceptible. Je lui prête même de petits mouvements, de petits bruissements de lèvres. Pavlov n'est pas loin. Sinon, c'est que ma psy chique.
Non, ce n'est pas possible ! Ce serait franchement vulgaire et mon inconscient la croit, la souhaite plus raffinée. Il l'idéalise et aimerait tant qu'elle se penche sur son cas.
Oui, qu'elle le regarde enfin au fond des yeux et qu'elle l'envoûte et le fascine dans le vertige tourbillonnant de son décolleté maternel.
Son mutisme ne te botte pas ? Alors, viens garnement, on s'en va.
Une psy, c'est bien trop compliqué pour toi !