L’horloge cassée (Marou)
L’horloge cassée (Marou)
L’horloge indique vingt deux heures trente, mais elle est en avance. Moi aussi je suis en avance, ou bien c’est elle qui est très en retard. Je ne peux pas m’empêcher de fixer l’horloge. Pourtant, je sais bien qu’elle est détraquée. Cela fait quinze ans que je le sais. Je regarde le bouquet de fleurs que je voulais lui offrir. Il a une sale mine. Je ne sais pas si elle aime les fleurs mais moi, j’en ai toujours offert à toutes les filles avec j’ai été. Toutes les filles, sauf elle. Toutes les filles qui n’étaient pas elle.
J’ai le trac. J’ai le sentiment d’avoir à nouveau treize ans. Mais ça me réconforte de savoir qu’elle a pensé à cet endroit pour nos retrouvailles. Ca veut dire qu’elle n’a pas oublié. Moi je n’ai rien oublié. Elle l’aimait bien ce vieux bâtiment qui souriait ; avec ses yeux-lucarnes et son nez-horloge. Il lui faisait penser à ces vieux dessins animés avec Mickey ou Dingo que nous regardions enfant, du temps où nous étions jumeaux.
La façade à l’air toujours aussi hébétée que du temps où nous habitions cette rue. L’horloge indique toujours dix heures trente comme il y a quinze ans. C’est comme si le temps s’était figé à l’époque de notre bonheur.
Je regarde ma montre. Il est vingt deux heures. Plus qu’une demie heure et elle sera là. J’ai honte de lui en avoir voulu ce matin, d’avoir douté d’elle. Une demie heure et elle sera là. C’est bien connu, même les horloges cassées donnent l’heure exacte deux fois par jour.