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Paroles Plurielles
25 septembre 2007

Rivière en fuite (Pivoine)

« Je lui ai dit de se taire. » Non. Ce n’est pas vrai. Mais je lui aurais bien dit de se taire.

« Il était debout devant moi. Lisant ce texte à voix haute. C’était très sexe. C’était très sexuel. »
Non pas le texte qu’il lisait, je ne sais même plus ce que c’était. Je lui aurais bien dit de se taire. Il n’avait pas besoin de parler. Nous n’avions pas besoin de parler. Nous n’avions pas besoin de nous parler.

Il lisait tout haut, il me semble réentendre les sonorités de sa voix. Calme. Posée. Et j’écrivais silencieusement. Dans cette attitude discrète et réservée que j’aime à conserver en toute occasion. C’était comme une rivière en fuite dans une forêt verte.

La jeune fille assise. Paupières baissées sur des cokeries de cendres tièdes. Les cheveux tirés sagement en coque d’acajou. L’habit transparent et fluide de la femme. Et l’homme droit, tout bleu, devant elle.

« A hauteur d’yeux. Tout en écrivant rapidement, il m’arrive de lever les yeux. Ne pas bouger, ne pas respirer. Ne pas oublier. Comme un claquement ! Mentalement, je dépose le crayon, je me penche en arrière, je vais à sa recherche. Je guide sa main, je la pose là. Et je l’y laisse. L’espace se rétrécit. »

Nous pensions à la même chose. Au choix que nous avions fait l’un de l’autre. Au choix de ne jamais le dire. De ne jamais le dire et de tellement le savoir. C’était comme s’il avait posé son livre. Comme s’il avait retenu un léger soupir. Comme s’il s’était rapproché davantage de moi. Comme s’il avait fermé les yeux en quêtant mes caresses aveugles.

Cela ! Ne pas le faire. L’évidence de la passion assommait la classe de silence.
Il se tut. Posa le livre. Se retira.
Un brouhaha de chaises bousculées.
De flacons fracassés. L’illusion renversée.

Voilà comment les portes s’en vont claquer sur tous nos souvenirs.

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Commentaires
S
C'est très émouvant ce texte. J'aime la façon dont tes phrases courtes du début se corrigent ou se précisent pour raffiner le sens au plus près du sentiment.
P
Très particulier ce texte, Pivoine. En effet, je rejoins Sammy sur l'idée du fantasme, de l'imaginaire, du désir. Je n'imagine même pas une étudiante et un prof plus âgé qu'elle, je voyais plutôt une femme mâture et un jeune formateur pour adultes. Tout est permis dans ce texte, on peut tout imaginer. Chapeau !<br /> Non, je ne suis pas d'une nature perverse !
P
Rhôoooooo (Sammy, une étudiante plutôt qu'une secrétaire o;;; mes convictions politiques m'empêcheraient d'écrire un texte sur une relation entre une secrétaire et, et... Et o;) <br /> <br /> C'est sympa d'avoir ton commentaire, merci et j'ai eu beaucoup de plaisir à lire les autres aussi...
S
Une étudiante ou une secrétaire, oui, la relation impossible est plus suggérée que clairement suggérée, qui plus est, elle semble ici être l'objet d'un fantasme, ou d'un souvenir, ce qui contribue à diluer les minces frontières de la réalité déjà rendue floue par les illusions de l'amour...
I
un texte magique... sonore comme un silence !
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