Rivière en fuite (Pivoine)
« Je lui ai dit de se taire. » Non. Ce n’est pas vrai. Mais je lui aurais bien dit de se taire.
« Il était debout devant moi. Lisant ce texte à voix haute. C’était très sexe. C’était très sexuel. »
Non pas le texte qu’il lisait, je ne sais même plus ce que c’était. Je lui aurais bien dit de se taire. Il n’avait pas besoin de parler. Nous n’avions pas besoin de parler. Nous n’avions pas besoin de nous parler.
Il lisait tout haut, il me semble réentendre les sonorités de sa voix. Calme. Posée. Et j’écrivais silencieusement. Dans cette attitude discrète et réservée que j’aime à conserver en toute occasion. C’était comme une rivière en fuite dans une forêt verte.
La jeune fille assise. Paupières baissées sur des cokeries de cendres tièdes. Les cheveux tirés sagement en coque d’acajou. L’habit transparent et fluide de la femme. Et l’homme droit, tout bleu, devant elle.
« A hauteur d’yeux. Tout en écrivant rapidement, il m’arrive de lever les yeux. Ne pas bouger, ne pas respirer. Ne pas oublier. Comme un claquement ! Mentalement, je dépose le crayon, je me penche en arrière, je vais à sa recherche. Je guide sa main, je la pose là. Et je l’y laisse. L’espace se rétrécit. »
Nous pensions à la même chose. Au choix que nous avions fait l’un de l’autre. Au choix de ne jamais le dire. De ne jamais le dire et de tellement le savoir. C’était comme s’il avait posé son livre. Comme s’il avait retenu un léger soupir. Comme s’il s’était rapproché davantage de moi. Comme s’il avait fermé les yeux en quêtant mes caresses aveugles.
Cela ! Ne pas le faire. L’évidence de la passion assommait la classe de silence.
Il se tut. Posa le livre. Se retira.
Un brouhaha de chaises bousculées.
De flacons fracassés. L’illusion renversée.
Voilà comment les portes s’en vont claquer sur tous nos souvenirs.