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Paroles Plurielles
26 septembre 2007

Rosée en bouteille (Jujube)

Je lui ai dit de se taire.

Il n’y avait rien à dire, ni à redire. Elle balayait les éclats de verre en répétant : « C’est du verre blanc, ça porte bonheur ».

Je lui ai dit de se taire.

Ma sœur est toujours la même : elle arrive en coup de vent, jette ses vêtements et son sac à main sur la table, envoie promener ses chaussures, se rue sur l’évier pour boire un grand verre d’eau, se juche sur la machine à laver, allume une cigarette, tout cela dans le débit rapide et claironnant du récit de son dernier shopping ou des dernières querelles du bureau, ou des problématiques amours de son grand garçon, ou des choix d’orientation de sa dernière, quand ce ne sont pas les récriminations multiples qu’elle porte sur son mari, ce pauvre Bernard, ben oui, Pauvre Bernard ! Ma phrase est longue ? Je sais, mais c’est juste pour que cela vous énerve aussi. Ma sœur est une longue phrase, un moulin à paroles.

Il n’y en a que pour elle.

Je ne dis rien, mais ça me rend nerveuse. Alors forcément, j’ai voulu ouvrir la fenêtre pour évacuer la fumée, et c’est là que j’ai oublié les bouteilles, mes belles bouteilles.

Vides ? Non. Pleine de mes regards, et, j’ose même dire, de mes rêves: le matin, quand le soleil les frappait, elles envoyaient des reflets irisés sur mon pavé blanc. Comme je les rince de temps en temps, les gouttes d’eau qui brillaient, c’était comme de la rosée. Ou bien des larmes allumées, nettement plus gaies. Je mettais tout dedans, des messages invisibles, comme des bouteilles à la mer qui serait restées sur le rebord de la fenêtre ; mais prêtes à partir. Je les avais chinées à la braderie de Lille à l’étal d’un pharmacien qui vidait son arrière boutique. «Fortes et douces», je m’étais dit, «et bien fermées».

Erreur de manœuvre : au lieu que le battant s’ouvre vers l’extérieur, il a basculé vers l’intérieur. Zigouillées, mes confidentes.

Elle a bondi sur le balai : c’était idiot de les mettre là, c’était dangereux et en plus elles étaient moches, ça n’était que du verre blanc, donc ça portait bonheur, elle me trouverait un truc chouette en remplacement à Déco-Design (elle prononce « di-di), elle enlevait le plus gros, mais il faudrait que j’aspire...

J’ai inspiré, j’allais pleurer. Elle m’a encore dit que ça portait bonheur, au moins trois fois. Je lui ai dit de se taire, et même qu’il était l’heure.

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Commentaires
I
Un enchantement ce texte.. et de belles trouvailles. <br /> <br /> J'ai aimé aussi ce "ma soeur et une longue phrase"...
P
quelle superbe écriture - on voit, on ressent, on entend, j'ai adoré en particulier les phrases comme: " ma soeur est une longue phrase " , et aussi : " mes bouteilles...pleines de mes regards, de mes rêves.... et les gouttes d'eau qui étaient comme de la rosée, ou des larmes allumées "<br /> Bien joli tout cela... merci Jujube pour tes mots!
R
J'ai l'impression de les voir, ces deux soeurs: le moulin à paroles qui s'étourdit de ses mots, sans s'en rendre compte, et qui ne voit pas, qui ne comprend pas l'autre.. qui supporte! Chacune renfermée sur elle-même. Deux personnages terriblement vrais.. <br /> PS: j'adore les bouteilles vides, sans valeur, mais aux formes harmonieuses.. j'en ai beaucoup chez moi, alors je comprends!!
S
" des larmes allumées", comme c'est joli !<br /> l'énervement légitime est bien rendu.
L
pleurer en paix! Quand cette soeur ou quelqu'un d'autre pourtant cher au coeur, ne comprend décidément rien à ce qui se passe à l'intérieur de toi, tu te dis que la beauté des bouteilles, leur lumière t'appartiennent un peu parce que tu les as vues au moins, elles sont une partie de toi... <br /> Eh bien, à ce moment là, même si ça ne change rien, ça soulage quelques larmes!
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