Clandestin (Chiara)
Il était arrivé il y a quelques jours, quelques mois, quelques années. Il ne savait plus très bien. La clandestinité est un autre monde, un monde où le nombre perd sa valeur et où le singulier se fond, nous disait-il souvent.
Ce jour là, pourtant, il voulut forcer la mémoire, il voulut se rappeler.
Nous étions tous les trois sur le pas de la porte. Le vent repoussait les feuilles sur nos pieds. Les yeux fermés, Tilimiyé se souvint.
C'est un vendredi. Il y a la frontière qui se dessine, l'attente qui s'enroule, la peur qui cingle. Tanger, les cris, la menace du retour forcé, tassé, menotté.
Plus loin, une route de campagne. Le froid qui pique la peau, le vent qui fait trembler la vue, la faim qui dérobe.
Sur lui, plus d'argent et pas de papiers pour ce monde. Avec lui, toujours, quatre photographies et des milliers de souvenirs. Derrière lui, la terre rouge de Gao, sa femme, ses enfants, ses amis. Devant lui, l'inconnu, l'indifférence, l'hostilité — le regret. Il se souvient : il y a des siècles, il est arrivé.
Un séjour ? Une longue marche. Planqué, perdu, seul.
Depuis, des mains s'étaient tendues qui n'avaient compté ni les jours, ni les heures. Plus souvent, d'autres s'étaient abattues, réclamant ces papiers qu'il n'avait pas. Il n'était pas ici, il était clandestin.
Lentement, il sortit son passeport. Il nous raconta qu'à Ceuta, pris de panique, il avait failli le brûler. Ils n'auraient pas su où le renvoyer : que faire d'un clandestin anonyme ?
Jean bégaya quelques mots. L'association pouvait encore... Tilimiyé sourit. Il lui donna solennellement les clefs de la maison.