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Paroles Plurielles
7 octobre 2007

La Chambre mystérieuse (Feuilly)

Elle n'avait pas connu sa mère, morte en lui donnant le jour et elle avait toujours vécu dans cette grande maison déserte au bord du fleuve. Une maison immense, d'un autre temps, en partie délabrée et qui ne comportait pas moins de quarante pièces. Son père en était le gardien et tentait de la maintenir en état. Le propriétaire, lui, on ne l'avait même jamais vu. Tous les mois, le salaire tombait et c'était tout. Pour le reste, personne ne venait jamais ici.

Enfant, elle passait son temps à rêvasser le long du fleuve, au pied du grand escalier de pierres. Elle s'inventait des amies afin de pouvoir jouer à la marelle ou bien elle se perdait dans le labyrinthe de la maison. A chaque fois, elle venait buter sur une porte hermétiquement close, celle de la chambre secrète.  On ne l'ouvrait jamais et elle ignorait ce qu'elle contenait. Son père en gardait la clef sur lui, solidement attachée par un cordon autour du cou. Quand elle lui posait des questions, il refusait de répondre, disant simplement qu'il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir.

Quand elle eut vingt ans, elle vint plus souvent encore s'asseoir au bord du fleuve, où aucun bateau ne passait. Elle regardait les eaux grises qui disparaissaient à l'horizon, se dirigeant vers un monde qu'elle ne connaissait pas. Alors elle imaginait qu'un jour un grand voilier viendrait, avec un beau capitaine et qu'il l'emporterait vers les grands ports de l'Atlantique ou peut-être même jusqu'en Amérique.

Mais personne ne venait jamais, personne. Il n'y avait que le fleuve impassible et la grande maison avec sa chambre secrète toujours fermée sur son mystère. Le temps passa inexorablement et son père devint si vieux qu'il décida d'aller dans un hospice. Ce jour-là, un petit canot vint accoster le long du quai, au pied des escaliers de pierres, sans un bruit. Son père monta dedans et dévisagea sa fille une dernière fois.
« Fais bien attention à toi », murmura-t-il.
Puis, retirant le cordon qu'il avait autour du cou, il lui donna solennellement les clefs de la maison.

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Commentaires
P
A l'instar d'Arthur Hidden, j'aime bien cette fin qui laisse sur sa faim. La clé transmise n'est pas celle tant attendue. C'est légèrement frustrant et cela laisse aller l'imagination du lecteur.
L
J'ai retrouvé un petit peu l'ambiance de Shining dans ce récit.<br /> Il ne se passe rien de spécial, mais on sent que quelque chose peut arriver à tout moment. L'attente est interminable, mais accepté. Le père et mystérieux. Le fleuve marque le temps qui n'en finit pas de passer tout le long du texte…<br /> J'aime bien moi.
V
J’aime bien cette histoire mystérieuse à plus d’un titre car en fin de compte, le père lui-même n’avait peut-être jamais ouvert la fameuse porte, et sa fille qui a pris le relais va peut-être aussi perpétrer le mystère…
B
..on pourrait presque se croire dans un film policier ! superbe décor.. mais quel est donc le secret de cette pièce fermée ??
J
Encore de la nostalgie dans ce texte...Tant mieux, si le propriétaire n'est jamais venu..si elle a pû se promener à sa guise dans cette grande maison qui n'appartenait pas à son père...<br /> Je me souviens de mes beaux-parents, gardiens d'une propriété..Mais, les propriétaires étaient là..C'était pesant. On ne se sentait pas "chez soi"...Un de mes frères en fait actuellement la triste expérience...Au début, il nous faisait visiter la propriété, mais, suite à quelques réflexions acerbes de son "patron"....nous n'allons pratiquement plus le voir..fini le ramassage des champignons, du muguet, des poissons pêchés dans l'étang....Mon frère doit rester "à sa place"..rien de + humiliant.Je le sens qui devient de + en + aigri...<br /> <br /> ps : c'est fou, comme chaque texte me rappelle des souvenirs....Au fait, la chambre secrète..quel secret peut-elle bien contenir ! les têtes des femmes de barbe-bleue ?
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