Premier rendez-vous. (Mab)
Chaque marche était un supplice. Chaussures trop neuves, cravate trop serrée, costume trop chaud pour ce début d’automne flamboyant. Mais chaque marche était aussi et surtout une récompense. Il la distinguait de mieux en mieux, grande, imposante par sa simplicité même, élégante et racée, belle encore pour son âge, faussement pudique derrière le rideau végétal des arbres rouges, elle s’offrait à son regard avec un tantinet de provocation. Elle l’attendait sereine, lui ou un autre... Depuis toujours, il la convoitait.
Le moment était venu, aujourd’hui où jamais, il en prendrait possession pour l'éternité.
Il l’avait trop vécu, ce moment où tel un conquérant il irait vers elle les bras ouverts. Elle ne bougerait pas, dans l’attente d’un mot, d’un signe de reconnaissance, elle avait besoin de lui et ne le savait pas.
Chaque marche était une victoire sur son passé de commercial errant aux quatre coins du pays, chaque marche l’éloignait des hôtels minables, des aires d’autoroutes, chaque marche le rapprochait d’une vie sédentaire à laquelle il aspirait plus que tout, plus jamais les repas avalés en solitaire, plus jamais les hôtels de zone industrielle, enfin son rêve prenait le pas sur la réalité.
« A moi, tu seras à moi » se répétait-il le souffle court et le regard obscurci, presque vitreux...
Quelques minutes avant que son cœur lui joue un mauvais et dernier tour, le notaire lui donna solennellement les clefs de la maison.