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Paroles Plurielles
11 octobre 2007

Le dernier rendez-vous (LORRAINE)

Le vent chasse les feu!lles, les escaliers en sont recouverts, il aurait fallu balayer. Tant pis, de toute façon il n’y a plus rien ici, pas même un balai. La villa est vide, je la fais visiter vite fait bien fait et...Pourvu qu’il ne soit pas en retard. Il a dit 4 H., il est presque moins dix. Bon, j’en étais où, assis sur le rebord de la fenêtre ?.. Ah oui, je lisais Musset..

C’est vrai qu’il me fascine. Je le connais presque par cœur. Surtout ses « Nuits ». A quinze ans, la « Nuit de mai » m’enivrait :
« Poète, prends ton luth et me donne un baiser »...
Mais maintenant, mon obsession c’est la « Nuit de Décembre » :
« ...auprès de moi vint s’asseoir
Un étranger vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère »...

Chaque fois, une délicieuse épouvante me fait frissonner. J’imagine, j’interprète, je tremble : qui est cet homme, ou plutôt ce double, ce reflet de moi-même, cette apparition ? Le miroir oblong inséré dans la paroi entre deux fenêtres me renvoie mon image. Un peu floue, mais c’est bien moi : Luc Sauvage, 35 ans, célibataire, plutôt beau gosse, nanti, instable et qui, sur un coup de tête a fait vider la maison familiale avant de partir au Québec.

- Pourtant, j’avais promis...non, j’avais juré à mon père de la conserver avec ses tapis, ses lustres, ses collections d’armes, ses tableaux, ses porcelaines et...ses souvenirs Mais quoi ? J’ai besoin d’argent. J’ai magnifiquement monnayé l’affaire d’ailleurs..Ah ! un pas... Mon futur locataire ?

Derrière moi, une silhouette s’esquisse, je la devine dans le miroir, je me retourne d’un bond... C’est lui « l’étranger vêtu de noir qui me ressemble comme un frère ». Lui ? Qui, moi ?...Moi!!!

Ce regard impénétrable c’est le mien, cet air de dandy c’est aussi le mien, ce petit sourire cynique au coin des lèvres, je le reconnais, cette façon d’épousseter son col d’une main machinale et affectée, c’est moi encore...Je veux parler, le prendre par les épaules, le jeter dehors...La terreur me paralyse, je claque des dents...

Lui non plus ne dit pas un mot. Désinvolte, il se contente de me tendre une main impatiente...La tête me tourne, une sorte de vertige. Lui reste de marbre...

Alors, anéanti, je lui donne solenellement les clefs de la maison.

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Commentaires
L
A tous un grand merci, très sincèrement!
F
pour ma part aucun problème de compréhension, la magie du texte a fonctionné du 1er coup. Pourtant je ne suis pas une habituée de Musset ou Maupassant.
M
BRAVO !!
S
j'ai beaucoup aimé. En particulier la façon dont tu rends compte de cette angoisse sourde qui devient plus pressante à la fin du texte.
S
Impressionnant et très réucci !
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