Tournage (Jade)
"Ta voix est ta plus belle parure" lança t-elle ironiquement à son miroir avant de se rendre, sans fard et sans bijoux, à leur premier rendez-vous.
Il arriva en retard, pâle et dépenaillé, se prétexta grippé et fut pressé de la quitter. Un malaise dès le premier regard qu'elle voulut agacé et lui, indifférent.
Ils étaient appelés à se revoir pour travailler ce qu'ils firent sans grand enthousiasme jouant leurs rôles avec componction. Elle, accentuant sa froideur à chaque rencontre, lui, multipliant à dessein les maladresses. Ils échangeaient avec ennui les répliques courtoises non dénuées de cynisme puis se quittaient la rage au coeur.
Une distribution sans mystère, un fiasco monumental, titrerait probablement la critique. Il fallait réagir maintenant, se dit-elle. Elle commandait à sa voix tantôt des inflexions tragiques, tantôt un souffle lyrique, ce dont il semblait sournoisement se gausser. Pérorant ses répliques entre chaque prise, il faisait les cent pas sur le tapis de feuilles mortes au pied de l'escalier tandis qu'elle repassait ses traits fatigués sous le pinceau de martre.
A la septième tentative, exaspérée, elle dévala les marches et se jeta sur lui avec l'intention, non formulée dans le texte, de le gifler. Interloqué, il en oublia ses vers. Pour la première fois leurs regards se croisèrent, le choc paralysa la main de la princesse. Ses doutes étaient les siens, ses fêlures les mêmes.
Un ange passa puis... "coupez!" cria le réalisateur. Le prince souriait timidement à la princesse, elle lui tendit la main.
La prochaine prise serait la bonne, ils le savaient maintenant tous les deux et il lui donna solennellement les clefs de la maison.