Perdant sur toute la ligne. (Sodebelle)

14 octobre 2007

Perdant sur toute la ligne. (Sodebelle)

Il voulait lui remettre solennellement les clés de la maison, en bas de l’escalier de pierres mais les marches fêlées le firent trébucher et elle le reçu dans ses bras en éclatant de rire, ce qui n’allait pas du tout avec l’ambiance de la scène qui se devait être très solennelle.

Après tout, il avait perdu le procès et elle avait tout gagné (ou presque) : la maison de famille, tout son contenu (ou presque), la garde des enfants et des chiens (il gardait les chats et les chevaux) et la moitié de la fortune colossale qu’il avait amassée de façon peu honnête comme on le devinait (vente d’armes en Afrique, trafics mafieux, drogue, blanchiment d’argent : peu importe, un truc crapuleux)

— "Coupez !" hurla le metteur en scène, ce qui n’étonna personne et les fit tous rire de bon cœur : ça détendit l’atmosphère qui était de plus en plus tendue depuis quelques jours. "On recommence et cette fois-ci, tâche de regarder où tu mets les pieds. Un, deux, trois… Moteur !"

Il regarda ses pieds, et les marches, et elle en bas de l’escalier et fut gagné par un fou rire nerveux qui lui fit tressauter les épaules.

— "Coupez nom de dieu ! je ne t’ai pas demandé de pleurer : tu la regardes dans les yeux, tu la défies, tu es beau perdant : elle t’a eu comme un débutant mais tu t’en fiches, tu es presque fier d’elle, tu la regardes avec resp…"

— "Mais tu m’as dit de regarder où je mettais les pieds !"

— "C’est une façon de parler, abruti, mais où t’as fait tes classes, toi ? Allez on recommence, tous en scène et cette fois-c, c’est la bonne, on boucle ce soir, c’est la dernière scène : je commence le montage demain."

— "Je crois que tu oublies à qui tu causes, Sam, personne ne m’a jamais parlé sur ce ton-là, trouve-toi quelqu’un d’autre pour jouer tes navets."

Et avant d’enfourcher sa moto puissante, il lui remit solennellement les clés de la maison.

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