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Paroles Plurielles
19 octobre 2007

6. Ligne 1 (Antigone)


Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde !

Moi qui espérais tant finir ce petit livre, commencé hier au soir, si poétique et bien écrit. Pour l’instant, il déforme la poche droite de mon manteau, je sens son poids intime et alléchant contre ma cuisse. Il me faudra attendre. Cette foule promet un compartiment plein à craquer, et un voyage désagréable, le nez collé sur les portes coulissantes. Aucun moyen de lire, c’est certain, juste une demi-heure pour penser, moi qui ne voulais penser à rien, justement, ce matin.

Une sonnerie stridente annonce la venue d’une nouvelle rame, la foule se presse dans un mouvement unique et s’engouffre en silence dans le wagon qui lui fait face. Les visages impassibles se frôlent et s’ignorent tandis que je laisse mon regard s’attarder sur les néons qui filent à tout allure derrière les vitres sales. Il est huit heures, et je sais que je vais le retrouver tout à l’heure, lui.

Depuis que je vis ici, dans Paris, il m’a fallu apprendre à éviter les regards, à marcher vite, à me fondre dans la foule et à vivre seule, du moins au début. Puis j’ai rencontré Paul, nous nous sommes plu et tout est allé très vite. Nous avons loué un petit appartement confortable. Nos livres et nos babioles se sont serrés les uns contre les autres, une certaine idée du bonheur, quotidien.

Et voilà que  je pense, à cet autre, au plaisir que j’ai d’aller travailler, depuis qu’il est là, à son sourire amical, à tout ce que je sais de lui, à tout ce qu’il ignore, à l’absurdité de tout cela, de ma vie.

La rame du métro, en partie désertée, s’arrête au terminus. Je suis arrivée. La foule pressée s’éparpille aux quatre coins du parvis de la Défense. J’aperçois, au loin, l’immeuble où je travaille. Dans quelques minutes, lorsque je franchirai le seuil du bureau que nous partageons, il m’embrassera, sur les deux joues. Sa femme et ses enfants me souriront gentiment dans leur cadre photo. Et je retiendrai ce mouvement, interdit, de mes mains vers les siennes.

 

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Commentaires
A
Merci à tous ! Oui, j'aime qu'ils soient ainsi les personnages que j'invente, parfois un peu trop pudiques et hésitants...mais c'est ce qui fait leur charme, non ?<br /> <br /> Merci belle Plum' pour ce joli commentaire. Comme d'habitude, tu as tout saisi.
P
L'amour en silence, à sens unique, l'amour souterrain qui reste dans le coeur et parfois monte jusqu'à la gorge en une grosse boule de honte et de scrupules... L'amour tabou, l'amour interdit...<br /> Encore une fois, un joli cadeau emballé dans un papier légèrement chiffonné.<br /> Merci Antigone...
R
une belle mise en mots de la consigne, et une trame très bien menée, jusqu'à la fin où l'on retient son souffle. <br /> je relis une deuxième fois.<br /> non elle ne l'a pas fait... j'avais bien lu la toute première fois.<br /> de la morale...<br /> normal <br /> c'est une provinciale,<br /> elle n'est pas encore débauchée par la capitale ..<br /> <br /> allez rigole, <br /> un beau texte.
A
C'est un beau texte, très moral : si j'étais à sa plce, je ne retiendrais pas le mouvement de mes mains, je lui crierais mon amour et je retournerais la photo de sa femme et de ses enfants vers le mur...<br /> Mais, ça c'est moi, Amanda et toi, Antigone tu es sans doute plus pudique...
E
Un joli texte qui laisse enfler l'émotion dans la mosaïque des petits riens qui forment une vie.
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