28. Monautomnie (Plum')
Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde ! Que se passe-t-il de spécial, aujourd'hui ? Aucune grève ni manifestation n'a été annoncée. Je me sens bizarre, je les ressens étranges, je nous pressens incohérents. Pourquoi ?
Elle
est là, face à moi, avançant d'un pas monorythmé. Elle s'approche, la
foule des actifs impassibles, des otages de la réussite sociale, des
victimes non con
sentantes du système. Elle fond sur moi, emmitouflée dans son
anonymat, enveloppée dans ses obligations de rendement, de
surproduction et de résultats. Je n'arrive pas à m'y glisser dans cette
foule. Elle me fait l'effet d'une houle cannibale, prête à me noyer et
à m'ingérer.
Il me suffirait de me retourner et d'avancer. La foule serait alors derrière moi et je la précéderais, la guiderais. Cela semble si facile. Nous sortirions de la station, moi devant, le visage offert au soleil d'automne, le nez et les joues rosis par un climat un peu froid pour la saison. Elle, à ma suite, relèverait son col pour se protéger de toutes ces jolies choses qu'elle ne voit plus. Comme les trottoirs recouverts de tapis fauves et rouges que les semelles et talons font chanter. Comme ces enfants qui ramassent les marrons et les frottent contre leur manteau pour les faire briller tels du cuir bien ciré. Comme cette tour immense, pôle des affaires, des contrats juteux, des transactions en yens, dollars voire pétrodollars et dont les centaines de vitres jouent avec le soleil. Un prisme de couleurs, un kaléidoscope fantastique offert à leurs yeux blasés et vides d'imagination.
Mais la foule est en regard de moi et ne me voit pas. Je ne suis plus qu'une transparence qu'elle avale. Mes rêves se sont brisés, ma volonté s'est polie à celle qu'elle a voulu m'imposer. Je ne brille plus comme l'édifice vitré, là-bas, sur le parvis. Non. Le morceau de cristal brut est devenu un bout de verre lisse et opalin, perdu sur un quai de métro trop fréquenté.
Je pars travailler mais je suis une luciole qui s'éteint sous les néons…