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Paroles Plurielles
26 octobre 2007

36. Sous terre (Chrysalide)

Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde. Le pied sur la dernière marche de l'escalier, elle hésite: remonter à l'air libre, ou affronter la foule compacte. Elle opterait volontiers pour la première solution, et de loin, mais elle s'est promis d'aller acheter ces rideaux jaunes destinés à ensoleiller son minuscule studio. Elle humecte ses lèvres soudain devenues sèches, serre convulsivement ses clés dans la poche droite de son blouson, avance une jambe, puis l'autre. Encore un pas, et la voilà cernée par ces êtres silencieux prêts à bondir dès que le métro arrivera. Elle sent sa gorge se nouer, un flot de lave lui ravage l'estomac, la pierre trop familière lui comprime la poitrine, l'air dans ses bronches tout comme le sang dans ses veines semblent avoir renoncé à s'écouler librement. Elle a à la fois envie de se mettre à courir en tous sens, et de se recroqueviller dans un coin pour ne plus jamais en bouger. Elle a l'impression que se jambes sont devenues des blocs de marbre froid, et en même temps que son corps a cessé de lui appartenir.
Sur l'autre ligne la rame vient de repartir, et elle fixe le défilé des vitres éclairées, reflets des pensées qui fusent dans sa tête et se heurtent aux ténèbres. Lorsque le dernier wagon disparaît, elle se perd avec lui, et brusquement elle sort de l'inertie dans laquelle elle était figée, fend la foule à contre-courant, grimpe l'escalier en haletant, court le long des couloirs où résonne le bruit de ses pas, échos de ses battements cardiaques effrénés, et elle plaque ses mains sur ses oreilles pour ne plus les entendre. Enfin, elle débouche à l'air libre, et son regard accroche le reflet du soleil dans les vitres de la grande tour sur sa gauche, kaléidoscope de lumières qui semblent se mettre en mouvement comme le train sous terre. Le ruban de miroirs étincelants tournoie autour d'elle, vite, de plus en plus vite, et se précipite soudain à sa rencontre. Elle sent ses jambes fléchir sous elle, et tout disparaît.

 

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Commentaires
I
Quelle belle description que l'angoisse de ceux qui ont peur de la foule... et le métro est pour eux un vrai calvaire<br /> <br /> Le texte colle parfaitement aux sentiments éprouvés et on a envie de lui donner un bol d'oxygène
J
Beau récit de pannique.
B
L'enfermement.. c'est ce que je retiendrais de ce texte. Le sentiment d'étouffer, d'angoisser, et d'aspirer à retrouver l'air libre. Des phrases qui font écho pour moi !
J
Un texte tres dense, tres etouffant, tres noir aussi. C'est ce que tu voulais faire passer, alors je dis bien joue ;)
A
Ouf! Elle réussit à sortir de l'horreur et découvre un éclair de beauté. Finalement la vie est belle.
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