37. Oubli (Jujube)
Mauvaise surprise, la station est noire de monde. Fatou n’avait pas prévu cette foule qui se presse dans le hall de la toute nouvelle station Bofil, au pied des immeubles de la Défense, tous ces visages tendus vers les hauteurs du grand dôme qu’escaladent des verrières sophistiquées ; ils guettent les mouvements alternés de leur paupières métalliques qui filtrent air et lumière au gré du soleil et des nuages, coulissant silencieusement de côté, de biais, de haut en bas, dociles au caprices du temps. Comme tous ces badauds, Fatou s’y laisse fasciner, emplit son regards de ces glissements souples et sensibles, essaie de capter un rythme secret : une embellie, et les fenêtres se rétractent en étroits polygones ; un assombrissement, et elles s’épanouissent, livrent le hall à la lumière que tous semblent boire autour d’elle. On dirait qu’ils se sont rassemblés pour un culte étrange qui inspire les visages, les vidant de méfiance, délivrant un rêve commun en attente. Fatou se sent bien dans ce partage, ne pense plus au métro dont une rame vient de repartir presque à vide.
Quand une main se pose sur son épaule : « Contrôle d’identité, montrez-moi vos papiers s’il vous plaît. » lui dit le policier. Elle n’en a pas. Elle allait déposer son dossier à la préfecture.