44. Vertige par Farfalino
Mauvaise surprise ! Le quai est noir de monde. Les panneaux d'information
sont aussi éteints que la foule des passagers sagement agglutinés attendant
leur sort, par habitude, par résignation. La fin de journée véhicule les
remugles animaux des humains inanimés mélangés aux effluves froids des pneus
d'un métro absent.
Je rejoints les autres, je prends ma place dans ce troupeau tranquille.
Attendre. Je n'ai pas le choix. Que faire d’autre ? Remonter à la surface,
pour s''exposer à un air vicié par trois siècles de révolution industrielle ?
Je n'y vais plus depuis longtemps ! Je passe directement de mon studio à
mon travail sans jamais avoir à sortir des entrailles de la Terre. J'ai une vie
de ver de terre, flasque, mou, sans tête et sans couleur. Je me contorsionne
pour satisfaire mes besoins primaires : manger, boire, dormir, surfer,
regarder la télé.
Personne ne me parle. Je ne parle à personne. Les panneaux sont éclatants de
vacuité. Je contemple alors mon ciel de faïence comme disait un poète
alcoolique du siècle dernier. Je n'y vois que des faux vitraux d'une modernité surannée,
éclairés violemment par des néons. Pour tromper le temps, ou moi-même, je
compte les segments, les carrés, puis les rectangles, les triangles ; je
suis les lignes de ma fuite. Une fois, deux fois, ... La spirale géométrique se
met progressivement en mouvement. Les couleurs se mélangent pour n’en faire
qu'une. L'œil du cyclone vitreux aspire ce qui reste de ma substance. J'oublie
mes congénères dégénérés, j'oublie le ver que je suis, j'oublie ce foutu métro
qui ne viendra plus, je tourne, je tourbillonne sans fin dans des brillants
rectangles triangulaires à la couleur improbable.
La machine lourde et bruyante disperse mes chairs éclatées dans une immense
gerbe d'étincelles qui éclaire comme un soleil les passagers bientôt endeuillés.