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Paroles Plurielles
9 novembre 2007

Un coin de rue (Uhsn)

Tante Babette prend une longue inspiration. Comme toute personne normalement constituée le ferait, trac au ventre. Voilà où cela mène, cinquante ans avec comme seule compagnie celle d’un neveu. Ça vous amène à demander à ce neveu de vous accompagner, parce que vous n’accordez plus confiance à vos jambes vacillantes, qui risquent de rebrousser chemin. Ça vous fait trembler les mains, qui se trouvent soudainement expertes en sudation. Ça vous fait aussi sentir très fort le parfum fleuri et mettre des robes aux motifs non moins fleuris, question de cohérence.

Je n’irais pas jusqu'à dire qu’elle est belle, tante Babette. Non, ce n’est pas le mot. Mais je dois avouer qu’elle me paraît aujourd’hui plus avenante qu’à l’accoutumée. Depuis vingt et quelques années que je l’observe, c’est la première fois que je devine derrière ce déguisement de vieille fille - très réussi, par ailleurs -, comme un soupçon de je ne sais quoi. Un petit rien qui se veut différence, une ardeur nouvelle dans ces prunelles depuis peu pétillantes.

Il aura suffi que cet homme fasse irruption dans le quartier et la voilà passant de vieille fille à impatiente adolescente. Un homme, ça vous change une femme.

Toujours est-il que ce monsieur, discrètement, s’est immiscé dans sa vie par petits paliers successifs. Un regard à l’épicerie. Un sourire à la boulangerie. Un bonjour convenu à la quincaillerie. Une discussion légère au supermarché.

Avec ce rendez-vous devant l’épicerie, il boucle malicieusement la boucle

Nous sommes au coin de la rue à regarder passer les minutes, et d’un coup la bouche de tante Babette me demande de filer - de quoi aurait-elle l’air s’il me voyait ? -, mais ses mains me retiennent encore. Alors je me dégage de ces liens humides et crispés et j’obéis à sa voix, qui me semble plus raisonnable, lui souhaitant de tout cœur un agréable moment.

Sur une deuxième inspiration, plus ample encore, elle prend son courage à deux mains tremblantes, et s’en va le retrouver.

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Commentaires
A
Une tante comme on n'en fait plus ! Super !
A
J'aime beaucoup le soupçon de je ne sais quoi.
S
"Un homme, ça vous change une femme."<br /> Ca c'est bien dit (mais l'inverse est vrai aussi !!!)
M
Une belle histoire qui commence.
U
Merci à vous trois ;)
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