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Paroles Plurielles
24 novembre 2007

35_Il suffit de passer le pont… (Azalaïs)

« Je n’ai pas mis les bonnes chaussures ce matin », se disait-elle, le cœur empli d’une détresse sourde. Elle avançait, le buste incliné vers l’avant, les muscles crispés, le souffle court, l’esprit désemparé, tout entier tenaillé par ce tourment unique : elle avait mal aux pieds !

Cela avait commencé par un élancement rouge, sournois, insidieux, lancinant, localisé à ses extrémités. Au début, elle avait juste essayé de ne pas y penser, de marcher de façon différente en attaquant le sol avec le talon, en se faisant plus légère … Mais bientôt, le reste du pied avait suivi. La plante était devenue brûlante, collante, prête à partir en lambeaux comme si elle marchait sur des braises. La douleur maintenant irradiait dans tout le mollet et remontait le nerf sciatique. Engoncée dans son manteau trop chaud pour la saison, elle se mit à transpirer. Elle avait mal au cœur, mal au dos, mal à la tête, mal aux dents… Son corps peu à peu, était devenu comme une grande flamme qui la dévorait toute entière ! Elle était au supplice ! Des larmes embuèrent sa vue, elle chercha un mouchoir.

Pourtant, elle avait passé toute la veille à se préparer. Elle avait vainement cherché quelque chose qui pourrait convenir pour cet entretien d’embauche, mais elle avait tellement grossi ces derniers temps ! Elle avait donc acheté en catastrophe un pantalon et un pull en soldes sur le marché. Pour cacher sa misère, elle avait pensé que le manteau ferait l’affaire. Et quand elle avait voulu trouver une paire de chaussures, elle se rendit compte qu’il n’y avait plus, dans le placard, que ces bottines à talons oubliés par sa fille ! Tant pis, si elle prenait le bus, elle n’aurait pas long à marcher ! Seulement voilà, la RATP avait déclenché une grève surprise et elle se retrouvait sur ce pont, prête à hurler, à la limite de vomir sur ses chaussures ! Tout ça pour quoi ? De toute façon, elle n’y croyait plus aux entretiens d’embauche ! Elle était bien trop vieille, trop moche, trop grosse, trop défaitiste ! Elle n’avait pas encore ouvert la bouche que déjà, elle lisait dans leur regard, qu’elle ne ferait pas l’affaire ! Oui pour quoi et surtout pour qui ? Ils l’avaient tous abandonnée !

Elle s’arrêta un instant à l’extrémité du pont. La lumière du matin balayait la surface du fleuve qui fumait par endroits. Au loin, une tendre buée enrobait tous les arbres. Elle se laissa absorber par la sérénité de l’eau polie comme un miroir. Peu à peu, les battements de son cœur s’apaisèrent et un souffle d’air frais passa sur son visage. Les gens passaient derrière elle, mais elle n’en voyait que les ombres, obliques et sautillantes. Toute sa vie, elle aussi, elle n’avait été qu’une ombre ! Et si …Il lui sembla que l’eau l’appelait, lui caressait les cheveux, le front, comme sa mère quand elle était petite. Cela semblait si simple ! Elle se pencha, prête à basculer, lorsque soudain un chat noir se glissa entre ses jambes. Il était maigre et implorant. Ses yeux d’or semblaient comprendre son désarroi. Distraite, elle se courba, caressa le chat qui se faisait de plus en plus pressant dans sa quête de tendresse. Alors, elle arracha ses chaussures d’un geste rageur, les balança par dessus le garde-fou et emporta le chat qui se lova en ronronnant dans la chaleur de son manteau.

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Commentaires
I
belle description : bravo
S
bienvenue.
A
oui être sauvée de la noyade par un chat me paraissait tout aussi efficace que de l'être par les pompiers !
J
J'ai aussi bien aime la chute heureusement sans chute, le renoncement a la douleur, le oui a la vie. Un bon debut!
V
Bienvenue Azalaïs, ton texte est agréable à lire, je suis bien entré dans ton personnage et j'ai aussi apprécié que la fin ne s'arrête pas sur une note trop dramatique.
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