2. J'ai sorti mon cahier à couverture rouge de mon grand sac" (Mifa)
"J'ai sorti mon cahier à couverture rouge de mon grand sac".
Un
chroniqueur avait un jour écrit que la première phrase d'un roman
comportait le plus souvent une référence au lieu ou au temps. J'ai
alors plongé dans ma bibliothèque pour vérifier la chose, et refais ici
le même exercice :
Histoire du Siège de Lisbonne, de José Saramago
Le
correcteur dit, Oui, ce signe s'appelle un deleatur, nous l'employons
quand nous devons supprimer et effacer, le terme s'explique de lui-même
et s'applique autant à des lettres isolées qu'à des mots entiers.
Les neutrinos vont-ils au paradis, de Francois Vannucci
Notre
mission s'énonçait clairement: nous devions rechercher des traces de
neutrinos solaires dans la péninsule de Paraguana, à l'est du
Vénézuela, le 26 février, à 14 heures 04.
Les chroniques martiennes, de Ray Bradbury
L'instant
d'avant, c'était l'hiver en Ohio, avec ses portes et ses fenêtres
closes, ses vitres diaprées de givre, ses toits frangés de stalactites,
les gamins skiant sur les pentes, les femmes emmitouflées dans leurs
fourrures, arpentant les rues glacées comme de grands ours noirs.
Une perle aux cochons, de Lee Gardner
Il avait déclaré s'appeler John Turpin et ça m'avait laissé complètement froid.
Sécheresse, de Graciliano Ramos
Sur la savane rouge, les juàzeiros plaquaient deux taches vertes.
Ce
que j'observe, c'est surtout que la première phrase donne le ton,
l'atmosphère, détermine l'intimité que nous aurons avec l'auteur, ses
personnages, son récit. La première phrase verrouille le rapport que
nous aurons au monde imaginaire ici créé, suscite et anticipe nos
couleurs affectives, nos petites étincelles, nos silences et nos rires.
Passée la première phrase, tout est joué. Mille cadenas silencieux et
malins nous contiennent, nous canalisent, et, otages d'un adroit
ravisseur, nous sombrons dans un pacifique syndrome de Stockholm,
amoureux d'un livre.
Mais, comme auteur, une première phrase venue d'ailleurs est comme une
condamnation à perpète, et pourtant, au-delà de la grille cadenassée,
qu'elle est belle la liberté…