18. Le placard (Cassymary)
J'ai sorti mon cahier à couverture rouge de mon grand sac et je l’ai ouvert.
J’étais seule dans cette allée de gravillons blancs.
J’ai commencé à lire à haute voix. Le vent emportait mes mots. Qu’importe. Là où tu étais, tu ne m’entendais pas, tu ne m’entendrais plus.
La porte du placard s’est refermée, et j’ai entendu la clef du cadenas. J’ai retrouvé sous la marche de l’escalier le cahier et le stylo, et puis la lampe de poche que je t’ai piqué la semaine dernière. Maintenant j’écris. C’est rien que pour moi, pour passer le temps, pour avoir moins peur. Toi, tu cuves ton vin affalé sur le canapé Quand tu te réveilleras, tu viendras m’ouvrir, si t’as pas oublié d’ici là. En attendant, pour passer le temps, j’écris.
Papa, pourquoi tu ne m’aimes plus? Je sais bien que t’as autre chose à faire que t’occuper de moi. Je sais aussi que t’aurais bien aimé que maman m’amène avec elle quand elle est partie l’an dernier. Elle non plus elle voulait pas de moi. J’ai peur quand tu vides la bouteille d’un coup, comme ce soir. A chaque fois, ça finit pareil, tu gueules sur maman, tu la traites de salope, et puis tu me regardes et t’as l’air dégoûté. Et puis t’ouvres la bouche pour me cracher à la figure que je lui ressemble trop, que je finirai comme elle. Alors tu m’attrapes et tu m’enfermes sous l’escalier, pour plus me voir, parce que je te rappelle trop maman.
Avant je t’aimais papa, avant, quand maman était là. T’étais pas pareil. Tu me prenais sur tes genoux et tu me racontais des histoires, et je tournais les pages du livre en regardant les images, et puis on faisait un concours de grimace, et on rigolait bien.
J’ai plus envie de rire papa. J’ai 10 ans et j’ai envie de mourir. A cause de toi.
Le reste du cahier était rempli des mêmes mots : j’ai envie de mourir. 5 ans d’une écriture minuscule, des mêmes mots répétés à l’infini.
Le cimetière était tout aussi désert lorsque je suis repartie. Sur la tombe encore fraîche, un cahier à couverture rouge dont les pages voletaient au gré du vent.