24. Feuille d’ange (Oviri)
Il n’en a parlé à
personne.
Il a contourné la maison, pris la corde et la
hache dans la grange, foncé au jardin et s’est planté
devant lui. Qui le connaissait, le voyant ce matin là,
n’aurait rien trouvé d’inhabituel. Enfant mystère à
la parole rare, il rejoignait depuis ses premiers pas solitaires ce
compagnon de jeu à qui il confiait ses secrets. Ils avaient
exactement le même âge. Onze ans de vie commune et de
rires partagés pour en arriver là.
Comment avait-il pu permettre ça
? C’était la première fois qu’il lui présentait
quelqu’un, un ange, Marie. Et cet imbécile l’avait jetée
à terre. Elle avait sali sa jolie robe, pleuré, puis
s’était fâchée quand il avait expliqué
que sans doute son ami était-il un peu jaloux. Elle était
partie en criant :
« débile … faut te faire
soigner».
Il était resté là,
prostré jusqu’au coucher du soleil. Jusqu’à ce que
sa mère lui crie de rentrer.
La dernière semaine d’école
avant les vacances était passée sans que Marie lui
adresse le moindre regard. Il n’était plus retourné
au jardin. Muré dans son silence, il n’était plus
retourné au jardin. Le premier dimanche des vacances, arrivé
sur le parvis de l’église, il avait refusé d’entrer.
« Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour avoir un débile
pareil ? » avait lancé sa mère à la ronde.
Mains enfoncées dans ses poches, tête dans les épaules,
il descendait les escaliers de pierre, quand il entendit sa voix.
Elle était à deux pas de
lui, avec ses parents, dans sa jolie robe sans la moindre tâche.
« Salut vieille branche »
lança-t-elle, éclatant de rire en le dépassant.
Il a couru comme jamais jusqu’au
portail, foncé au jardin et s’est planté devant lui.
En rentrant, sa mère a aperçu de loin la colonne de
fumée. Du noyer il ne restait que le tronc encordé,
couché à terre et les branches qui brûlaient dans
un feu d’enfer.
« Mais qu'est-ce que j’ai fait
au Bon Dieu… »