27. Reclus (Tisseuse)
Il n'en a parlé à personne..
Il n'en parlerait plus jamais d'ailleurs.
Il est parti ainsi les yeux grands ouverts, avec ce regard étrange qui dévisageait les autres avec perplexité.
Il était dit, par un de ses frères, qu'il aurait été incarcéré dans un camp de concentration durant un mois durant, et qu'il en serait mort, si l'usine de Leipzig dans laquelle il était ouvrier, envoyé par la France aux bons soins du S.T.O., n'avait pas cherché à le reprendre à tout prix.
Ce serait donc sa qualité de « bon » ouvrier fraiseur qui l'aurait sauvé de l'horreur.
Ce serait donc la tradition de métallo de sa famille et de sa région qui l'aurait extirpé de l'indicible.
Il était déjà trop âgé lorsque j'ai appris cette version de son histoire. Ce n'était pas ainsi qu'il m'avait raconté l'épisode où, s'étant évadé, il avait été repris puis emprisonné par les Allemands. Avait-il édulcoré son récit afin de ne pas m'effrayer ?
Son jeune frère s'était-il inventé un roman tragique pour donner du sens au mystère ?
De toutes façons, il ne parlait déjà quasiment plus, reclus dans une protection lointaine. De tout et de tous.
Un seul mois, dans toute une vie, et l'équilibre se fendille, l'humanité se recroqueville, un seul refuge : tourné vers le ciel...
Était-ce l'explication pour la fixité de ses yeux, parfois posés sur les autres, parfois perdus en eux-mêmes ?
Peut-être ?
Tous ces cauchemars, nuit après nuit, durant 60 ans...
Je n'ai jamais osé lui demander...
Ce regard...