12. Frou Frou… (Jujube)
Madame Blanchet savait tout des femmes du quartier. Depuis l’avant-guerre, entendez la première, elle tenait boutique de lingerie, nommée « A la rose », où chacune choisissait des nouveautés, commandait des dessous à façon si sa physionomie le requérait : maigre, forte, ventrue ou plate ? La corsetière remodelait. Son secret consistait en l’art de galber les gaines et les combinés à l’aide de baleines renforcées sous peluche qui garantissaient confort et naturel.
Toutes les jeunes filles en âge d’étrenner un soutien-gorge, un porte-jarretelles, subissaient en rougissant son expertise, pourtant bienveillante : « Quels jolis petit seins en pommes ! » s’exclama-t-elle, le mètre ruban virevoltant, quand il fallut équiper Hortense d’un bustier en coutil damassé rose saumon.
De fait, à vingt ans, Hortense devint callipyge, et coquette. Bien plus souvent que nécessaire, elle mettait en émoi le carillon de la lingerie pour essayer des parures, parmi les plus jolies de la boutique, des guêpières, des caracos de soie, des balconnets suggestifs, des choses qu’en bonne commerçante, Madame Blanchet tenait à disposition d’une clientèle qu’elle jugeait spéciale. Elle finit par s’offusquer de les présenter à Hortense. Elle connaissait si bien les parents ! Elle en toucha un mot à la boulangère, qui s’interrogea avec la bouchère. On regardait passer Hortense dans son simple manteau de ratine beige. Elle cachait bien son jeu. Madame Blanchet, ayant été Rosière de Denonville, gardait certains principes.
Ainsi donc, après mure réflexion, elle saisit l’occasion d’une visite de la mère pour l’alerter sur la conduite frivole de sa fille. La dame la toisa : «Ma fille est fiancée, Chère Madame ! Quoi d’étrange qu’une jeune femme amoureuse rêve à séduire son futur époux ?» Elle n’y avait pas songé ! Dans ce milieu bourgeois, on pensait autrement.
« En tout cas pour son trousseau, nous irons commander ailleurs ».
C’est comme ça qu’on perd son procès.