20. Le dernier contrat (l’Arpenteur d’étoiles)
C’est étrange, depuis que je ne travaille plus, je me sens de plus en plus fatigué.
J’étais parti une nuit d’hiver, parti pour un quelconque ailleurs dans une errance qui allait devenir ma vie. L’entreprise paternelle, la coterie des notables, la voie royale qui m’était naturellement réservée n’étaient pas pour moi. Les histoires commencent bien souvent ainsi, par un départ.
De bars en bordels, de ports en quais de gare, je suis entré peu à peu dans cet anonymat qui permet tout. J’ai abordé la frange du monde. J’ai fréquenté ces lieux où l’on croise la faune de la nuit, les hallucinés de la vie, toujours entre deux verres, entre deux rêves, entre deux mondes. Ceux là bien sûr, mais aussi leurs maîtres, les hors la loi, les sans âmes, les fauves aux regards vides et aux poches pleines.
Ils ont vu mon absence de peur. Ils ont su que j’allais leur servir. Aux fils des années j’ai rempli pour eux les tâches les plus sombres. J’ai tué, manipulé, trafiqué, puni. Sans état d’âme, sans regret. Avec froideur et professionnalisme.
Mais aujourd’hui, je suis trop vieux. C’est ce qu’ils m’ont dit, du moins. Trop vieux, trop fatigué, moins sûr, moins efficace. Ils m’ont jeté, simplement, comme on se débarrasse d’un vieil outil inutile et rouillé. Alors j’ai repris mon triste voyage. Mais je sais que je tiens ma revanche. Avant d’aller nourrir l'oubli de moi-même, d’abreuver mes remords inexpiables, je vais leur montrer que la vie n’épargne personne.
Vous voyez là, le jeune homme avec l’anorak clair et le sac en bandoulière ? C’est le fils d’un de ces barons pègreleux. Il ressemble étrangement à mon dernier contrat, à ma dernière victime, condamnée à mort pour désobéissance de son père à la loi implacable du milieu. Moi, je suis juste derrière avec une aiguille au curare, prête. Rapide, discrète ; absolument discrète.
Ma fatigue a momentanément fait place à de la haine.