19. Reverdie (Jujube)
Il faut absolument que je pense à changer de sac à main. Le mien est vraiment triste à côté de celui de la dame d’à côté. Sans doute, c’est un choix classique et fonctionnel que ce sac noir, mais à le voir posé sur ma table, un peu affaissé, ramassé sur le contenu confus de tout ce que j’y mets, il semble me dire : « Oui, tu es comme moi, classique, fonctionnelle et un peu affaissée sur ta vie confuse. Toi aussi, tu passes partout sans qu’on te remarque. »
Mon écharpe blanche, d’ailleurs, je l’ai choisie parce qu’elle allait avec tout. Et j’ai pris le plat du jour pour éviter de me poser des questions. Ce n’est pas mauvais, mais pas vraiment bon non plus. « Médiocre, ma pauvre fille tu es médiocre… » poursuit mon sac à main.
Elle, la dame d’à côté, fouille dans son sac vert pimpant comme dans une jeune salade, Elle en sort du rouge à lèvre et se fait un petit raccord après le déjeuner. Voilà quelqu’un qui ne s’oublie pas. Elle en tire encore un bonbon pour sa petite fille, le lui tend avec le sourire de ses lèvres neuves. Elle est vive, et même, il faut bien le reconnaître, vivante.
Et moi, en compagnie de mon sac noir ?
Il faut absolument que je pense à sortir de ma réserve, que j’ose choisir, que je me voie en couleurs. Et quand je répète « il faut que », c’est encore de la soumission, c’est encore une nécessité qui s’impose à moi. Je pourrais me le dire autrement. « Je devrais changer de sac à main », par exemple. Non : « J’ai envie de changer de sac à main ». Voilà qui m’appartient. Mais en atteignant ces mots si francs, je sens qu’au fond, j’ai envie de vivre autrement. Pas comme elle, la dame d’à côté, mais comme je m’entends le désirer, tout bas, en ce moment.
Elles s’en vont en contournant ma table, la femme, son sac à l’épaule, me sourit sans savoir les mots que j’y ai puisés, qui me disent que désir est réalité.