Le retour de l’ombre béjaune (Joe Krapov)
Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, Peter Schlemilh avait à nouveau une ombre !
Elle s’étalait devant lui, muette mais joyeuse, dansante sur le mur, difforme, lui faisant un bras plus gros que l’autre, lui rendant une part étrange de lui-même, une vérité perdue et par bonheur, ce jour, retrouvée. Qu’avait-elle bien pu vivre, l’ombre, pendant tout ce temps fou où elle avait été propriété du Diable ? Elle ne le lui dirait jamais.
Quelles folies ne commet-on pas dans sa jeunesse ! On veut être beau, on veut être riche, on veut être aimé et on est prêt à tout, même au pire, pour y parvenir. Et on l’accomplit ! Quelle bêtise !
Mais c’était terminé maintenant. Au loin derrière lui sa honte d’homme riche mais haï de tous car sans ombre ! Abandonnée, la bourse de Fortunatus dont chaque écu dépensé était aussitôt, par magie noire, remplacé ! Terminé le risque de perdre à jamais son âme ! Disparu le vil tentateur !
Peter avancerait désormais en anachorète, souriant au désert devant les roses des sables ; il se constituerait un herbier avec les petits bonheurs du jour, il se ferait un monde d’un caillou ramassé dans la Vallée des rois ; un feu de joie naîtrait du renard rencontré, il apprivoiserait les pyramides, jouirait des fleurs et des fjords, s’enivrerait du Iénisséï et de l’Amour, croirait aux contes et aux poèmes de partout. N’avait-il pas d’ailleurs aux pieds les fameuses bottes de sept lieues ?
Il reviendrait aux sources et prierait la triade thébaine : Mout «la mère», Amon «le caché» et Khonsou «le voyageur ». De ce premier qui fut pour moitié du chagrin et du second où il devint aux deux tiers vermisseau, de cette vie, la sienne, en forme de charade, il bâtirait un temple à l’autre dieu, Montou, qui l’avait soutenu pour battre le Malin.
La vraie vie commençait. Il n’y a pas d’âge pour être aussi sage que Saint-Antoine. Le soleil dispensait une lumière éclatante. Son ombre retrouvée lui montrait le Chemin.