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Paroles Plurielles
29 mai 2008

22. Le trio infernal (madeleinedeproust)

Je sors du garage avec une épouvantable migraine. Rien d’étonnant à cela quand on y réfléchit bien. L’enchaînement des repas d’affaire, trop copieux et arrosés, ne m’a jamais été profitable. Quant aux contrariétés elles n’arrangent rien. Et dans ce domaine ces derniers jours j’ai eu mon lot.

Voilà maintenant huit jours que je me promène avec perché sur l’épaule gauche (la sinistre) une poupée toute de noir vêtue qui s’imagine me tromper avec un vague ruban mauve à la taille et en écharpe. Je la sens peser sur mon épaule. De temps en temps elle se penche à mon oreille et me murmure des mots doux. « Ne rêve pas, la migraine te rattrapera tôt ou tard. Tu peux utiliser tous tes subterfuges, rien n’y fera, ni la compresse froide, ni le repos dans une pièce fraîche et obscure, ni les divers exercices de relaxation. Je suis là et bien là. Tu sens ma présence contre ta tempe gauche (la sinistre une fois encore) ? »

Et elle a raison. Depuis deux jours une veine bat douloureusement à ma tempe. Inlassable, un petit bonhomme de bois à l’allure anodine (pantalon blanc, t-shirt bleu) et au sourire narquois y donne des coups réguliers.

Mais la sortie du garage, le passage de son obscurité fraîche à la violence de ce jour d’été éclatant, vient de lui donner une nouvelle vigueur. Désormais il tape à bras raccourcis. Toute ma tête résonne. Je ferme les yeux pour échapper à l’agression solaire. Sur mon épaule poupée noire danse une folle sarabande et ricane à n’en plus pouvoir. Elle martèle mon épaule, poupée blanche martèle ma tempe, le sang bat, le sol ondule sous mes pas, je vacille jusqu’à la porte d’entrée soudain très floue. Je tends une main hagarde vers le mur, dans une quête désespérée de soutien. Poupée blanche prend son élan et m’assène un coup plus violent encore que les autres. Je trébuche, ferme complètement les yeux sous l’intensité de la douleur. Et là sous mes paupières closes, au milieu de mille papillons noirs, le dernier membre du trio infernal vient me narguer. Habit à carreaux rouges rehaussé d’un violent petit haut jaune. Une véritable agression visuelle. La nausée m’assaille. Dans un dernier effort je me rue à l’intérieur, attrape hagarde la boîte de médicaments, dois m’y reprendre à plusieurs reprises pour en extraire un de sa pellicule argentée et l’avaler, m’écroule enfin sur mon lit tandis qu’autour de ma tempe gauche trois misérables poupées de bois contemplent, ravies, le spectacle d’une migraineuse au summum de la crise.

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Commentaires
F
Belle description d'une crise de migraine! c'est du vécu!
K
Sinistres à souhait ces poupées
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