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Paroles Plurielles
17 décembre 2005

Du bleu au cœur (Colette)

« C’est là, faut que j’y aille, on m’attend ! Excuse-moi, Pierre, mais mon emploi du temps est  très chargé … Alors, on se téléphone ! Promis ? A bientôt ! Bien le bonjour à Charlotte ! »

Bien le bonjour à Charlotte ! Mon attaché-case à la main, je me dirige vers la porte d’entrée du resto branché de la capitale, le resto où il est de bon ton de déjeuner , surtout en terrasse, histoire d’être vu !

Ce lieu huppé,  aux saveurs de capitalistes, au bouquet à « l’oseille », au fumet de « galette »,  fait partie de mon quotidien. C’est la parenthèse  nécessaire à mon image de cadre supérieur.

Mon attaché-case à la main, je fais signe à Pierre, entrouvre lentement la  petite porte bleue. Etonnant, je n’avais jamais remarqué  ce bleu océan, ce bleu vague à l’âme !… Un homme pressé serait-il aveugle à la beauté des choses ?

Le patron me sourit, m’indique ma table d’un geste de la main, me demande si je vais bien.

Je lui réponds « oui, merci » par simple réflexe.

Au fait, je ne sais plus si je vais bien. Je vais !

Mon attaché-case et moi, nous avons un nœud dans la gorge. Raison de plus pour manger léger !

Autour de nous, le monde s’affaire, fait des affaires.

Les négociations vont bon train, la bonne chère et le bon vin  convertissent les plus réticents, les mains se serrent, les yeux pétillent, les euros  s’empilent. 

Mon attaché-case et moi, nous observons la scène , l’estomac noué. Raison de plus pour manger très léger !

Serait - ce l’effet de l’apéritif ? Le temps se fige, le temps d’un zoom arrière…

Les images défilent en sépia…Fac, mariage, enfants, carrière, carrière, carrière…

Un verre se brise sur la table. Le mien.

Cassé, le verre !

Brisée, la carrière !

Foutue, ma vie !

Depuis ce matin, je ne suis plus rien !

Rien qu’un cadre re-mercié ! MERCI ! Merci ! Sans bienséance !

Restructuration, mondialisation, compression, consternation… m’ont-ils dit d’un ton faussement contrit.

Non, messieurs ! Parlez plutôt d’humiliation, de condamnation, de démolition de l’être,  de relégation aux oubliettes, de perdition du MOI ! J’ajouterai, si vous le permettez, acceptation de devenir RIEN quand on était TOUT !

Et le regard, qu’en faites-vous ? Le regard de ma femme, de mes enfants, de mon entourage ! Non, je le sais,  je ne pourrai tolérer des regards de pitié !

Mes tempes explosent…

Mon attaché-case et moi, nous foudroyons du regard ces chacals aux aguets, prêts à bondir sur leur proie au moment opportun.

Miroir, gentil miroir, dis- moi si mon image reflétait le même spectacle désopilant ! Quelle  triste comédie !

En un éclair, la douleur me submerge. Un étau m’enserre la poitrine, me compresse, me déstructure. Mon cœur implose, expulse son trop-plein de rancœur. Mon cœur se rend…

La porte bleue ! Des visages flous m’interpellent.

« Tout va bien, monsieur ? ».

« Oui, merci. Faut que j’y aille. On m’attend ! »

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Commentaires
C
Merci à toi, Lorraine, pour ton petit message! <br /> Sabine, je suis touchée par ce que tu m'as dit! Merci
L
L'histoires de trop de quotidiens dans notre monde. Chacun peut s'y reconnaître. Un exte très juste, Colette,<br /> Amitié
S
Ca me touche beaucoup...mon papa a vécu tout cela...je le voyais en lisant ton texte!<br /> <br /> (enfin, maitenant il travaille à nouveau et ça va bien...)
C
Merci, Marie-Jeanne pour ton commentaire judicieux!<br /> C'est vrai que les 2 éléments font partie intégrante de la personne .C'est humain, tout simplement!
C
Merci, COUM, tu me pousses vraiment à écrire!<br /> Si ce texte te paraît dur, il est, je crois, la triste réalité pour certaines personnes.
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