Le compliqué (Floraise)
Il choisit toujours la solution la plus compliquée.C’est ce qui me
venait à l’esprit lorsque
je le croisais dans la rue, revêtu hiver comme été de son béret alpin
et de sa veste au col de caracul, essoufflé, les bras allongés par des
paquets trop lourds .
Manifestement, les choix de ce personnage qui habitait sous les combles
et que l’on disait de condition aisée, n’étaient pas les miens.
Ca ne m’empêchait pas de tailler une bavette avec cet homme étrange
aux yeux clairs et pétillants que les miens avaient chargé spontanément
de mystère.
Au fil de nos rencontres, j’éprouvais pour lui une sympathie
grandissante mais mesurée. Réciproque je suppose puisqu’un jour il
m’avait proposé de monter chez lui. Je serais la bienvenue, avait-il
dit, son antre m’était ouvert. Et pour me mettre à l’aise, il avait
ajouté«votre présence ne m’empêchera pas de poursuivre mon
travail.»
Je m’ étais décidée, cherchant un dérivatif après une croisière avec
notre nouveau yacht, qui m’avait laissé un goût amer, un manque.
J’avais découvert sa mansarde et au centre d’un indescriptible bric à
brac, sous la lucarne ,son chevalet offert à l’entièreté du ciel. Bien
qu’inhabituel, cet univers où la couleur, la lumière et les traits
s’inventaient à chaque instant, m’attirait. J’avais pris l’habitude d’y
monter après de trop lourdes journées de travail. J’y pénétrais comme
dans un sanctuaire, en sortais régénérée. Entre nous pas un mot,
simplement un signe discret de bonjour et d’au revoir.
Un jour, un tableau de style différent avait capté mon regard. Combien
de temps étais-je restée devant lui? A quel moment précis le peintre
s’était-il détaché de son travail pour venir me rejoindre? Qu’est-ce
qui m’avait poussée à réfléchir à voix haute?
«… apocalypse mais absence de tempête… une mer d’huile qui avale nos
rêves …ou plutôt…nos bonheurs illusoires qui sombrent d’eux-mêmes…
finitude et horizon sans fin, éblouissant de clarté …l’ oiseau libre
entre ciel et terre…
J’avais arrêté de parler, et après quelques instants..la gorge nouée:
…Vous m’ élevez…vers l’ éternel…
Alors lui, «le compliqué» avait posé sa main sur mon épaule puis
s’était levé et avait repris ses pinceaux. Sans un mot.