Huit jours pour une vie (Miss Alfie)
Cela fait huit jours exactement que je n’ai pas mis le nez dehors, que je n’ai pas senti le doux parfum des arbustes le matin, que je n’ai pas dit bonjour à la voisine d’en face qui me connaît depuis que je suis toute petite, que je n’ai pas été cherché le pain au camion qui passe tous les deux jours et plaisanté avec le vieux Fernand qui se tient toujours sous le grand platane devant la mairie.
Cela fait huit jours exactement que j’aurai du prendre ce bus pour partir aux Pays-Bas, traverser mon beau pays, regarder les gens se demander ce qu’une aussi jeune femme que moi pouvait bien aller faire à Amsterdam, tout en sachant très bien ce qui m’y amenait.
Cela fait huit jours exactement qu’elle m’a ouvert sa porte, ses cheveux gris relevés en chignon et son tablier à fleurs taché de jus de tomates, qu’elle n’a rien dit et a juste ouvert ses bras dans lesquels je me suis blottie, les yeux rougis par les larmes, les pieds abîmés par la marche, le visage tiré par la fatigue.
Cela fait huit jours exactement qu’elle s’occupe de moi, me fait à manger, lave mon linge, donne le change auprès de ses copines qui s’étonnent de ne pas avoir vu la petite Julie venir la voir depuis une semaine, et qu’elle a ressorti ses aiguilles, ses modèles et ses pelotes de laine.
Cela fait huit jours exactement qu’elle a lu dans mon regard, dans mon cœur, dans mon être et qu’elle m’a promis de me protéger, de nous protéger, au-delà du qu’en dira-t-on, pendant les cinq mois qui me séparent encore de l’arrivée de cet enfant.
Cela fait huit jours exactement que je lui ai écrit pour lui dire de venir, pour lui dire que je m’étais enfuie, pour lui dire que je voulais le garder, que je l’aimais, et que toutes les promesses que nous nous étions faites n’étaient pas encore parties en fumée.
Cela fait huit jours exactement que je n’attends plus que lui pour dormir.
Mais voilà que dans le silence de cet après-midi d’été l’on frappe à la porte et que j’entends enfin sa voix annoncer le début d’une autre vie…