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Paroles Plurielles
20 septembre 2006

Au revoir, Madame Smith (Valclair)

Voici pour terminer cette série impressionnante de participations, un texte de mon ami Valclair, un peu "hors consigne" .

C'est en fait une petite nouvelle. Je l'aime beaucoup, j'aime l'écriture de Valclair, toute en délicatesse érotique, en atmosphère sensuelle légère et raffinée.

Je trouve que son texte termine agréablement cette série  de la consigne 29. Je suis sûre que vous aurez le même plaisir que moi à lire cette mini nouvelle. Attention accrochez vous, c'est "chaud"!

Les Smith sont venus une semaine à Paris. Pour Monsieur c'était une
semaine pour étudier la boîte sous toutes les coutures. Monsieur est un
bosseur qui ne laisse rien au hasard, il est passé dans tous les
services, il a rencontré les clients, étudié les chiffres. Madame elle,
pendant ce temps, s’est promenée dans la capitale, elle a fait, comme on
dit, le Louvre, les grands boulevards et les magasins, Notre Dame et les
quais, tout ce qu’il y a de plus classique.

Le dernier soir, c’était restaurant de luxe, avec les principaux cadres,
on était là, toute l’équipe, une dizaine de personnes, Patrice notre
jeune boss voulait finir tout ça en beauté. Les discussions sont censées
être terminées, on parle de la vie des deux côtés du Channel, des
propriétés à la campagne, celle des Smith à Lyme Régis, Patrice invite
pour l’été dans sa villa dans le Lubéron. Terminées les discussions ? Tu
parles, au bout d’un moment c’est reparti de plus belle sur nos
synergies, notre co-développement, les projets mirifiques à long terme…

Madame Smith a quitté la conversation. Ça ne l’intéresse pas. Elle est
silencieuse, presque immobile, elle porte son regard ici ou là. Madame
Smith s’ennuie. C’est une femme blonde, élancée mais pas très grande, à
la quarantaine ensoleillée, aux larges yeux d’eau claire, une robe noire
légère sur sa peau de satin, épaules nues et gorge dégagée, gestes
lents, amples et caressants dans tout ce qu’elle fait, lever le verre de
Bourgogne par exemple, l’incliner dans la lumière pour en admirer la
couleur, le porter à ses lèvres puis laisser retomber sa main sur la
nappe presque avec langueur, étendre les doigts, caresser le tissu,
cette main comme en attente, le regard s’enfuit…

Mais le mien l’accroche au passage. « Paris dites-vous... Je connais
Paris mieux que personne ici ». Où a-t-elle été ? Qu’a-t-elle fait ?
Alors je lui raconte Paris, le mien, les promenades des soirs d’été, les
terrasses des cafés et les étals de mon marché du dimanche, les
quartiers multicolores, les villages dans la ville. Madame Smith ne
s’ennuie plus. Madame Smith a un beau regard qui voyage avec le mien.

Le repas s’éternise, les vins ont succédé aux vins, les voix se sont
faites plus fortes à moins au contraire qu’elles ne se soient
affaissées, ouatées de brume, je me penche, elle tourne son visage vers
le mien, presque nous nous toucherions car désormais ici nous voulons
une conversation qui ne soit qu’à nous.

Monsieur Smith a décrété qu’il veut offrir à son tour. Ce sera le
champagne, mais pas ici, ailleurs, nous traversons les Champs, le bar
est cosy, banquettes et fauteuils profonds, tables basses, lumière
tamisée, lourdes tentures, tout ici s’assourdit. Les bouchons sautent,
pétillement dans les coupes, on trinque, je trinque avec madame Smith,
doigts frôlés, moment qu’on voudrait suspendre, lentement nous portons
nos coupes jusqu’à nos bouches, l’or de ton sourire, Helen, au travers
de l’or tremblant du champagne dans nos verres...

Trois filles sont montées sur une estrade en face de nous. Elles
dansent, les projecteurs balaient la salle devant nous puis s’arrêtent
sur les filles, des découpes de lumière dansent avec elles, sculptent
les corps qui au rythme de la musique lentement se dénudent.

Madame Smith a posé sa tête contre mon épaule et sa main, sa main
longue, fine, tiède est contre la mienne, sa paume immobile est une
caresse et mes doigts se crochètent aux siens.

Monsieur Smith a le regard rivé sur les trois bimbos qui se trémoussent,
la poitrine à l’air. Moi je baisse les yeux vers cette nuit, cette
banquette où nous sommes, il fait si sombre mais plus claire est la
peau, comme diffusant sa propre lumière, plus clairs ces genoux, plus
claires ces cuisses que le tissu de la robe remontée laisse deviner, ces
cuisses frissonnantes dans l’attente de la caresse.

Ma main que j’ai dégagée s’y pose, là, juste là, dans le triangle
entraperçu. Les cuisses se referment sur ma main, mais tout doucement,
sans serrer, c’est juste un embrassement, mes doigts sont sur la vivante
boursouflure, sur et sous le tissu humide du string et librement s’y
promènent, les cuisses à nouveau s’écartent, la fleur s’ouvre, oh cette
béance qui m’accueille, et dans mon oreille dans un souffle minuscule,
avec cette délicieuse pointe d’accent qui m’emmène en voyage, Helen qui
dit, qui répète, qui s’emballe : oui, oui,oui, oui, oui...

Les applaudissements ont fusé tout à coup et salué les filles tout à
fait nues maintenant qui font une dernière parade puis se retirent.
Madame Smith s’est mordu les lèvres, j’ai retiré mes doigts mielleux et
mis ma main dans ma poche, Madame Smith s’est rajustée, j’ai détourné la
tête, redressé le corps, la lumière tamisée est revenue, les
conversations ont repris avec mollesse, on a vidé les dernières gouttes
du champagne puis Patrice et Monsieur Smith ont donné le signal du départ.

Le taxi est là. Les patrons se donnent l’accolade. Madame Smith est
montée dans la voiture, elle a appuyé sa joue contre la vitre, fatigue
immense, on dirait qu’elle va s’endormir dans l’instant, voici, avant
qu’ils ne s’effacent, ce sourire très tendre, ces grands yeux d’eau
claire qui rient doucement à moins qu’ils ne pleurent un peu, ce
minuscule salut de la main pour moi seul. Le taxi s’ébranle.

Patrice fièrement nous toise avant qu’on ne se disperse. Il a le sourire
large et carnassier des grands prédateurs qui ont réussi. « C’est plié,
les gars, c’est plié, on a gagné ». Chacun de l’approuver bruyamment. Je
ne dis rien, rêveur. Au revoir madame Smith…

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Commentaires
F
J'ai beaucoup apprécié, et sentait la respiration de Madame Smith s'affoler...<br /> Bravo Valclair, et merci.
P
C'est vrai, on ne remerciera jamais assez Coumarine pour le plaisir qu'elle nous donne... Son propre journal, dont on attend impatiemment les publications... Et ce site merveilleux, qui permet de lire les écrits des amis, et des inconnus, des nouveaux venus. Et surtout ses petits mots encourageants, toujours sympas, et tout ce travail qu'elle gère à bout de bras !<br /> <br /> Merci Coum! Encore !
V
C'est tout ce qu'il y a de plus inventé, cette histoire. Dommage non? Enfin c'est la vie de l'imaginaire ça et qui peut nous procurer quelques plaisirs même s'ils ne valent pas les plaisirs des réelles présences.<br /> Je suis en train justement de mettre en ligne chez moi quelques textes, dont celui qu'évoque Pati.<br /> <br /> Merci à tous en tout cas de vos commentaires louangeurs, vous me feriez presque rougir. ça fait plaisir et ça renforce l'envie et le plaisir d'écrire .<br /> Et merci à Coum d'avoir publié bien que j'ai légérement outrepassé la longueur recommandée, ah, là, là, quand on se laisse entraîner par son sujet.<br /> Merci à Coum d'ailleurs pour tout le reste, pour tout ce qu'elle fait pour accueillir et encourager nos textes.
C
Ca donne chaud partout de lire un texte pareil!
T
Madame Smith est parfaite.<br /> Silencieuse, immobile et discrète<br /> c'est la nouvelle que je préfère, la plus raffinée ..
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