Au Nord KIVU (Vincent)
C’était un drôle de zèbre, cette femme. D’une nature froide, je dirais même introvertie, elle menait sa barque comme on circule dans des couloirs d’hôpitaux vides sans regarder le décor. A la va-vite, toujours «à la bourre» comme on dit maintenant. Jamais un regard à gauche ou à droite. Les autres, c’était pas un problème pour elle. Quoique... Fallait pas se trouver sur son passage. Gare à celui qui l’empêchait de passer ! Des hommes elle en avait croisé dans sa vie. Qui l’avaient trouvé jolie. Qui admiraient sa façon de ne pas se laisser faire. Ses yeux de fauves noyés dans un océan couleur de perle vous disaient : je te jauge. Ils ne vous laissaient pas indifférents. En principe ça se passait dans ses grands moments de lassitude. Alors qu’elle sombrait dans une sorte de déprime, elle s’arrêtait de foncer tête baissée, et se réfugiait dans les bras du gars qui lui portait un peu d’attention. Dans les bras... façon de parler. Pas facile une étreinte à cent à l’heure.
Les quelques hommes qu’elle avait eus, ils avaient fini sur les genoux. Le premier, elle l’avait laissé sur le chemin des Dames. Quand il était revenu, entier, du grand chaos, plus personne à la maison. Elle n’avait pu l’attendre. Y en avait bien un qui l’avait suivie au bout du monde, en fait c’est elle qui l’avait rejoint. C’était bien sûr après avoir tenté de faire fortune aux États-Unis dans l’alimentation rapide. Elle était trop en avance sur son temps. Elle avait fait sa connaissance dans la bonne société bruxelloise. Il était planteur de café dans le nord-est du Congo Belge. Le Nord Kivu. Une région entre deux cours d’eau exubérants comme elle, l’Ituri au sud et l’Uélé au nord. Après s’être fait épouser à Bruxelles, elle l’y avait rejoint. Remontant le turbulent Congo, elle y fondait une nouvelle famille.
Là-bas, elle avait voulu tout faire : du café bien sûr avec son mari mais aussi améliorer le commerce d’objets rares, de multiples articles indispensables à la vie «made in Africa», cultiver des roses, difficiles à y faire pousser... ça avait si bien marché qu’elle avait gravi les échelons de la vie sociale et avait usé les patiences et volontés des hommes gravitant autour d’elle dont ses deux fils aînés et les toisait du haut de son mépris. Dès cette période de sa trépidante vie, elle n’aura de répit de bousculer les évènements. Et pour ce faire, c'est décidé, elle vivra centenaire.