J'en ai "mare" ! (Voilette)
Il faut que je vous dise j’ai menti ! Bien sûr que je suis comme eux, je déteste cet endroit.
Je leur ai dit que j’allais à la mare parce que j’aime m’y ressourcer.
C’est faux, évidemment. Ce lieu est toujours hideux.
Il fait jour et pourtant je sens ces émanations, je sens le mal qui règne ici, à fleur de peau sur cette écorce verte. Le mal est ici, j’avance sur le lit de mort de ces feuilles trépassées. Je lève la tête vers ces bouleaux aux bras décharnés, vers ces tentacules inutiles qui cherchent à griffer le ciel blanc.
Je vois la main du monstre sortant de l’eau qui veut me happer dans son monde aqueux et nauséabond. L’eau verdâtre, croupie a réussi à attirer un arbre. Il penche dangereusement, tiré dans l’eau par cette force invisible, cette main «ogresque» qui veut sans doute s’en nourrir.
L’eau est uniformément plate, sans ride. Il n’y a pas un souffle d’air.
Un silence inhabituel pèse sur mes oreilles. Les feuilles mortes enveloppent mes pieds, amortissent tout bruit.
Je déteste cet endroit et je l’ai toujours détesté. Petite je venais ici quand je voulais être seule. Je savais que personne n’aurait l’idée de venir me chercher. Je venais sur ces berges offrir au dieu de la souffrance mes
pleurs.
Aujourd’hui je fais de même.
Je me suis assise, la tête appuyée sur mes genoux. Je reste immobile, secouée par les sanglots. Je viens ici offrir ma douleur à ce lieu, à ce dieu qui ne peut rien me donner mais à qui je laisse mes pleurs et ma douleur. Je laisse ma douleur grandir, sortir, ramper le long du sol et rejoindre son élément, l’eau.
Ce dieu pourra la transformer, ajouter du vert sur ses arbres encore épargnés, rendre ces branches plus tortueuses, rendre cet endroit tel une œuvre d’art noir et me rendre telle que je dois être.