Un frère (Caleo)
J'ai un frère. Avec lui tout est simple : Je fais les conneries, il les répare.
Le yin et le yang, le ciel et la terre, le bien et le mal, David et Goliath, toutes ces associations mythiques ne sont rien à côté de la simplicité, de la régularité, de la limpidité de ce qui nous relie : Je fais les conneries, il les répare.
Je casse, il rembourse. Je perd, il débourse. Je vole, il restitue. J'insulte, il s'excuse.
Je vis un sur duvet d'insouciance, porté par un colosse aux épaules larges et à la stature inébranlable. Un monstre de responsabilité qui a les mêmes yeux que moi.
Seulement, avant chaque réparation, j'ai droit à un petit couplet, un laïus pétri de bonnes intentions – surtout celles de m'empêcher de recommencer. Ces leçons commencent toujours par la même phrase : Je te l'avais bien dit. Mon frère prévoit toujours toutes mes conneries, il est juste incapable de m'empêcher de les commettre.
Vient ensuite le développement, où il rappelle les faits – comme si je ne les connaissais pas, il met à jour le moment où j'ai fait ma connerie et il explique ce que j'aurais dû faire...
C'est toujours long une leçon de morale, mais quand c'est lui, c'est différent. Direct, précis, presque scientifique, un condensé de bonne idées. J'aime bien écouter mon frère, en fait. Je me demande si je ne fais pas toutes ces conneries rien que pour ça.
N'empêche que la dernière, j'aurais peut-être pas dû la commettre. Sa leçon de morale, elle ne ressemble pas aux autres. Elle est plus longue, plus enflammée, sans aucune retenue. Où est passée sa rigueur scientifique et surtout qu'est-ce qu'il attend pour lancer la dernière phase de sa leçon, la plus rassurante, celle où il dit : J'ai tout réparé.
Allez frérot, arrête ta morale absurde, ta guimauve à deux balle. Pour un peu, on dirait que t'essaies juste de me tenir éveillé. Et puis arrête les sirènes, arrête la douleur, fais partir tous ces gens, dis-moi que tu vas réparer ma connerie.
Une dernière fois.