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Paroles Plurielles
4 août 2007

Le favori (Lorraine)

Ce que je venais de dire à la vieille marquise Guy de Rui était l’exacte vérité : je partais pour toujours. Je quittais son château, son pavillon de chasse, ses réceptions, ses soupers aux chandelles, ses falbalas, ses bijoux, son lit... C’était hier, après l’amour.

Elle a ri. Elle me tient depuis si longtemps. Elle ferme les yeux sur les murmures étouffés des petits bonnes quand je les pousse dans une embrasure, elle fait semblant d’ignorer les regards assoiffés que je lance aux invitées plus jeunes, elle feint de ne rien voir mais me couve d’un œil féroce. Elle règne. Elle hypnotise. Elle décline...

Je n’ai rien. Je suis le fils de son majordome. Je n’ai jamais travaillé. Je suis passé de ma chambre à la sienne. J’avais 17 ans.
Elle était belle, amusante, souveraine, courtisée et moi, faraud, je me disais : « Essayez toujours, messieurs, c’est moi qu’elle aime »... Flatté, oui, je l’étais. Heureux ? C’est quoi, heureux ? Fier, élégant, désiré, envié, haï, et intouchable... Dix ans à porter les plus beaux vêtements, déguster les plats les plus fins, dormir dans les draps les plus doux... et la voir vieillir, doucement, cruellement, sans recours.

Je pars. Je suis une boussole sans Nord, un être sans avenir. Mes mains élégantes ont la paresse des soirées où l’on danse, en caressant subrepticement la rondeur d’une épaule. Une infinie lassitude m’engourdit. Je n’ai aucun courage, j’ai toujours été un faible. Le train roule vite, nous allons aborder le virage sous le tunnel. Oui, j’ai mon révolver...

« Monsieur...monsieur...Trop tard. Il est mort... »

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Commentaires
I
ah ce texte est du pur "Lorraine" !<br /> <br /> et j'en redemande encore !! Bravo !
L
Amanda, je n'étais pas là pour le lui souffler à l'oreille... Apparemment, il ne savait pas penser tout seul non plus!<br /> Les marquises continuent à être séduites et pas seulement les marquises. Tu évoques à point la Jet-Set! <br /> <br /> Bises
L
Oui, Libellule, "Il est mort" allait de soi après "Trop tard"! Ton oeil perspicace ne s'y est pas trompé; Merci pour ton commentaire amical.
A
" Une boussole sans nord " : cela dit tout de la faiblesse de ce petit monsieur.<br /> Il a eu bien tort de se tuer, il y a encore d'autres marquises à séduire...<br /> Une bien triste fin pour un gigolo et une triste histoire que tu nous contes-là, en phase aussi avec la Jet-Set actuelle.
L
Un texte intéressant.Apprenez que tout se paie mon bon Monsieur! Je vous conseille si vous ressuscitez d'en prendre note. Dans ce monde où tout s'achète et se vend, quel bonheur de vivre une relation désintéressée! Non, non, je ne rêve pas! Dieu merci, cette relation existe encore! <br /> Je me permets un petit conseil : la fin aurait, me semble-t-il, eu plus de force en enlevant : "Il est mort".
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