Viens... (Lorraine)
L’horloge indique vingt-deux heures trente mais elle est en avance.
Sœur Agnès sort en courant, comme chaque soir elle ferme la grille du
jardin, boucle le cadenas et glisse la clef dans la pochette pendue à
sa ceinture. Le couvent dort. Rien ne bouge. Seule, une veilleuse
clignote au bout du couloir.
Le vent d’automne est vigoureux, ce soir. Dans sa chambre étroite,
Séverine attend.
Elle l’a vu pour la première fois fin août. Il était debout sur une
échelle et repeignait en sifflotant le couloir qui mène à la chapelle.
Elle est passée près de lui les yeux baissés. Il était beau. Et
depuis, il la visite... Pas une vraie visite, non, plutôt une fugitive
apparition clandestine: il est là soudain, dans l’encoignure de la
porte, entouré d’un halo comme effacé et cependant lumineux. Il sourit,
il murmure «Séverine...», elle joint les mains, elle s’affole, il ne
peut pas lui parler, elle ne peut pas lui répondre, c’est mal. ..Mais
il revient. Tous les soirs, à 10 H.30. Depuis un mois. Ellle l’attend.
Elle est prête.
Ce soir, il est là tout à coup, comme si le vent l’avait déposé, ce
vent qui mugit dans le clocher, rampe sous les portes et souffle des
mots, des mots qu’elle entend pour la première fois:
«Viens, Séverine, ma petite, ma jolie. Viens avec moi..
Viens,...Viens...»
Alors, sans hésiter, elle le suit.
Le lendemain, le couvent est en effervescence: Séverine a disparu.
Aucun indice, aucune effraction, le cadenas est toujours bouclé, sœur
Thérèse a toujours la clef dans sa pochette, aucune autre issue
possible. Donc, ce n’est pas une fugue. Le mystère est absolu.
Le peintre est un homme simple. Il hausse les épaules. Pour lui, il
n’y a pas de mystère, tout peut s’expliquer. Mais il réfléchit:
- Sœur Séverine, dit-il, qui est-ce?..