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Paroles Plurielles
22 septembre 2007

Elles (Vagant)

Je lui ai dit de se taire.

C’est tout ce que j’avais trouvé pour arrêter un instant l’engrenage, au moins reculer l’échéance. Il a retenu son mouvement et m’a regardée avec ses yeux de brute, vides comme une nuit sans lune:

- Tu veux que je la ferme ? Moi ? Je n’ai rien dit, abrutie ! T’entends des voix !

- Ne l’ouvre pas, je t’en prie…

J’ai vu un éclair de compréhension dans son regard fou, et puis un mauvais sourire sur ses lèvres épaisses. Il a brandi son couteau suisse et il l’a ouverte comme un porc. Elle s’est vidée à gros bouillon. C’est tout juste s’il l’a regardée. Sans doute devait-il déjà la considérer comme un cadavre. Il en a mis partout, de ce liquide poisseux et âcre, qui colle à la peau et à l’âme. À moi de nettoyer tout ça, d’effacer les traces de son crime devant Dieu. J’ai l’habitude maintenant. Je me suis endurcie. Je sais.

Avant, je me doutais bien qu’après son travail à l’abattoir, il ne rentrait pas directement à la maison. Où allait-il traîner, je ne voulais pas le savoir. Pas savoir où filait sa paye ; pas identifier les odeurs sur ses vêtements ; oublier mes cauchemars avec elles comme les gros titres des journaux ; tout encaisser plutôt que ses coups. Jusqu’au jour où il en a ramené une à la maison.

Je m’en rappellerai toujours, elle était là, petite au creux de la banquette, impassible, rutilante de paillettes aux reflets noirs et rouge. Superbe. La beauté du diable.

- Je t’en supplie, Reza, pas devant moi, pas chez nous…

- Chez moi ! Et je fais ce que je veux !

Je me suis ruée sur elle, je voulais la balancer sur le pallier, mais il m’a envoyée valser d’une seule gifle. Quand j’ai repris mes esprits, il l’avait prise, il l’étreignait dans ses mains de boucher, et quand il en a fini avec elle, il l’a fracassée contre le mur du salon. Une horreur ! J’ai réussi tant bien que mal à faire disparaître tous les morceaux du cadavre avant la visite de l’imam. Quelle honte !

Ils sont cachés dans le placard avec celles qu’il n’a pas brisées.

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Commentaires
E
très habile texte; sans les explications, pour un peu je restais au niveau gore de la chose en oubliant l'image. un texte très imagé en tout cas , bravo
A
C'est horrible, c'est dur dans le style " Jamais sans ma fille "...<br /> Quel talent !
P
oui, nous n'en sommes pas à lancer des fatwas o;) (il ne manquerait plus que ça). Et si ça arrivait ???????
S
Qu'il est bon et doux de se retrouver entre personnes raffinées, à ce point soucieuses du respect d'autrui ...
A
Un texte très habile qui reste dans l'ambiguité. Ne manque-t-il pas un indice pour le lecteur pressé?
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