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Paroles Plurielles
8 octobre 2007

Son enfance ( Kloelle)

- L’été, le mûrier offrait ses baies pourprées aux merles égarés….Tu te souviens ?

- Dans mes souvenirs nous étions les merles égarés…..Mais continue, j’aime ta manière de rendre le commun ravissant.

- Voyons Paul, nous y avons été heureux.

- Heureux… Comment peux-tu dire ça, Clara, nous y avons manqué de tout.

- Regarde, elle étendait le linge là, entre les deux arbres. Ses draps avaient une délicate odeur de lavande. Petite, je me cachais derrière, tout contre, et je collais mon visage dans leur blancheur à peine humide pour m’imprégner de leur parfum. C’est tante Estelle qui lui envoyait un petit flacon d’essence à chacun de ses anniversaires.
Un jour, je l’ai surprise qui ouvrait le petit paquet arrivant de Provence, elle se pensait seule. J’ai vu des larmes couler sur ses joues, sans un bruit, juste les battements de sa joie. Je crois qu’elle a toujours été vraiment heureuse que sa sœur pense à elle, malgré la distance, malgré sa réussite à elle.

- Estelle n’a jamais mis les pieds ici. Une maison de mineur, c’était pas assez bien pour elle. Et il ne lui coûtait pas cher son cadeau, juste le prix du soulagement de sa conscience. Quand papa est mort, quand la mine nous a expulsé d’ici, qu’a-t-elle fait pour nous, tante Estelle ?

- Elle lui a écrit…Elle l’a conseillée…Je crois.

- Les conseils ne remplissent pas les ventres.

- Nous glissons sur les mêmes souvenirs, Paul, mais suspendus à deux lanternes qui n’éclairent plus les mêmes murs. Entreras-tu ?

- Non Clara….Je t’ai prévenue que la mine vendait tout. Il y a eu les enchères… Le notaire… Les papiers. Je l’ai fait pour toi. Mais le reste, Clara, la distorsion éclatante entre tes souvenirs de petite fille et la réalité, il te faudra l’affronter seule.

Il lui donna solennellement les clefs de la maison.

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Commentaires
L
Comme tout les textes qui m'intéressent, j'ai relu celui-ci plusieurs-fois, en l'envisageant toujours mieux à chaque nouvelle lecture. Il y a du boulot là. Bravo.
V
Ah, voilà un texte fort ! Il sonne très juste, sans affectation ni calcul. De surcroît, le sujet du souvenir, de son maquillage subjectif inconscient - et pas seulement les souvenirs d’enfance mais tous les souvenirs comme l’explique Kundera dans les « testaments trahis » - est très bien esquissé. Je crois que le souvenir est d’autant plus éloigné de la réalité factuelle qu’il nous touche profondément, et qu’il est donc subjectif. C’est le cas pour les souvenirs d’enfance et les souvenirs d’amants.
K
Je pense que parfois sans le vouloir vraiment , sans s'en rendre compte, on reconstruit les images de notre passé, on réadapate nos souvenirs.<br /> <br /> Il m'arrive de me demander quelle part de vérité il y a dans ces scènes de mon enfance auquelles je pense et je repense souvent....Quelle part d'imaginaire s'y est glissé...Quelles petites parcelles ce sont inconsciemment ou en conscience effacée de ma mémoire ?<br /> Voilà un sujet qui m'interesse beaucoup....
C
c'est un texte tout en délicatesse, Kloelle, en dentelles de souvenirs...<br /> et pourtant si différents selon les deux personnages<br /> Cela me fascine toujours de voir comme l'imaginaire a retenu du passé (du mêle passé!) des éléments tellement différents selon les tempéraments<br /> Cela me fascine et me désole...c'est comme ça que se construisent les dialogues de sourds...
I
de l'âme ils en ont... mais leur musique n'est pas accordée.<br /> <br /> C'est souvent le cas des souvenirs d'enfance entre frère et soeur ? <br /> <br /> J'ai aié cette évocation de la Provence qui parfume ce site des mines du Nord
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