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Paroles Plurielles
8 octobre 2007

L'escalier du temps (Pati)

Flash. Douleur. Néant.
Elle n'a pour mémoire que ces seules sensations violemment imprimées dans sa chair. Elle est dans une chambre d'une blancheur immaculée. Un hôpital, sans doute. Alors sa douleur doit être normale, même si elle dévale les pentes de son corps tel un ressac insoutenable.
Dormir.

Un homme. Un docteur ? Brun, immense, une tignasse ébouriffée au-dessus d'un front sans fin. Et des yeux sombres arrimés aux siens. Il parle. Lui explique visiblement ce qu'elle fait là. Elle voit la bouche s'animer mais aucun son ne vient heurter sa conscience.
Dormir.

Choc du temps qui passe sans qu'elle puisse en maîtriser la course. Le ressac de douleur s'atténue. Lentement. Qui est-elle ? Elle ne sait pas. Son cerveau est vide. Plus rien dedans.
Terreur.
Elle rêve. Elle est au bord d’un précipice et sait qu’elle va plonger. Elle s’y refuse de chaque fibre de son être mais elle sait qu’elle va plonger. Parfois elle est en haut d’un escalier. Immense. Vermoulu, comme son corps. Rouillé, comme son âme. Une volée de marches qui plonge vers l’enfer, déroulant l'éternité devant ses yeux affolés.
Peur.

Le temps a passé. Petit à petit, elle a retrouvé son corps. Réappris à marcher, bouger, parler, manger. Mais sa mémoire reste vide. L’hôpital est devenu centre de rééducation, puis maison de repos. Elle le sait car c’est inscrit dans son dossier. C’est tout. Aucun souvenir de ce temps de douleur.
Elle a pris l’habitude de vivre avec cette béance. A repris un travail. Une autonomie. De gestes, si ce n’est de pensée.

Et puis cet homme. Ses yeux si sombres qui rient pour elle. Qui la gronde quand elle abandonne pour mieux l’assister quand elle se redresse. Ils partagent tout. Son absence de passé comme leur avenir à construire.
Dans cette maison. La leur.

Elle n’oubliera jamais le jour de sa renaissance.
Ce jour d’automne flamboyant où il lia son futur au sien. Ce jour où il lui fit prendre conscience de ses progrès. Quand il lui donna solennellement les clefs de la maison.

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Commentaires
O
Oui, très joli texte !
A
Il n'y rien à ajouter à tous ces comm', juste te dire que j'ai aimé ta manière de traiter un sujet douloureux !
P
L'angoisse que peut ressentir l'amnésique est parfaitement rendue. Et j'aime beaucoup l'utilisation de l'image qui sert d'abord à chuter vers le néant puis à remonter vers la vie.<br /> Un grand bravo !
C
texte très émouvant, on ressent les émotions du personnage, sa peur, sa douleur, véhiculées par des mots qui se cognent
P
merci à tous
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