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Paroles Plurielles
12 octobre 2007

Saut de l’ange ( Jujube )

Michel Degloire avait toujours été redevable à son nom. Dès l’enfance, comme il servait la messe, les copains l’appelaient l’Archange. Ce surnom le destinait  à une vie exemplaire dont il avait poursuivi la perfection jusque dans sa vieillesse ; l’Archange comptait donc parmi les meilleurs de Saint-Bonnet-le-Prudent qu’il n’avait jamais quitté.
Mais au terme de cette vie estimable, l’Archange en éprouva de la lassitude. Dans la maison héritée de sa mère,  il couvait une neurasthénie qui teintait de longues journées en demi-deuil, à peine éclairées par le passage de l’infirmière ou la venue des repas. Derrière les rideaux que les soins maternels avaient changés trente ans plus tôt, la vie commune de la rue faisait peu de spectacle.

Un matin d’automne, Michel s’habilla beau, prit sa canne, partit non sans bien fermer sa porte. La bouchère s’étonna à le voir passer si bien mis, et emprunter le tertre qui montait à Notre-Dame-des-Bons-Recours, une chapelle juchée à l’aplomb du bourg. On y allait peu, même si un curé exalté avait remis en honneur un pardon jalonnant de prières la rude ascension que Michel s’imposa avec lente obstination. Parvenu à son but, le vieil homme entra au sanctuaire et passant une petite porte, grimpa jusqu’au clocher d’où il déboucha sur les dalles du toit. Se tenant aux minces arc-boutants du clocher, il contempla longtemps les maisons en contrebas, l’éparpillement chiffonné des toits bruns, les arbres et les champs qui résumaient sa vie dans la vallée de la  Blaise. Adolescent, il aimait la rivière, rêvé de départ, assis sur les marches qui menaient sur ses quais, écoutant l’eau lui chuchoter des remous ; une barque tirait à l’anneau, le même qu’à ses pieds. Mais partir, quitter maman, voler la barque, était-ce digne d’un archange ? Il était resté. A présent, c’était trop fort, il voulait « voler de ses propres ailes ».

A quelques mois de là, le notaire reçut le lointain héritier qu’il avait enfin retrouvé. L’homme cachait mal la joie de sa bonne fortune, mais il fit au mieux pour se faire un visage grave, lorsque  celui-ci lui donna solennellement les clés de la maison.

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Commentaires
J
ça prouve qu'à tout âge on peut choisir son destin.Un conte optimiste. Et cette élévation<br /> qui précède la décision de l'envol,très bien décrite.
M
on ne s'attend pas à une chute aussi cynique ! bravo !
S
j'aime beaucoup "la vie commune de la rue faisait peu de spectacle."
S
oui, j'ai noté de belles descriptions aussi, surtout dans la 1re partie.
I
L'archange prend son vol... mais je me demande si l'heureux héritier est bien digne de cet héritage là !<br /> <br /> J'ai aimé l'expression "il couvait une neurasthénie qui teintait de longues journées en demi-deuil, "<br /> <br /> bien trouvé !
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