Le plaisir d’offrir (Sodebelle)
Tante Babette prit une profonde inspiration, la suspendit et expira longuement par le nez en poussant la porte du salon de thé le plus rétro de la capitale.
Elle est mignonne, Tante Babette, elle croit bien faire, en fait elle fait ce qu’elle peut (à l’impossible nul n’est tenu) elle n’a aucune idée mais ce n’est pas de sa faute : elle n’a pas d’enfant, la pauvre (ni de mari mais ce n’est pas une raison).
Chaque année, pour mon anniversaire (elle est ma marraine, elle se sent donc obligée de « faire quelque chose »), elle m’emmène dans le même salon de thé (complètement ringard) depuis mon plus jeune âge.
Elle croit que ça me fait plaisir, mais non, moi je préfèrerais aller au Mac Do mais je suis si polie que je n’ose le lui dire.
Je croyais qu’elle aimait ça mais là, tout d’un coup, j’en doute à la façon dont elle a soupiré avant d’entrer avec une figure longue comme un pain à la grecque.
Je la suis, maigrichonne fillette à la suite d’une matrone replète : elle est imposante, Tante Babette, je ferais n’importe quoi pour lui plaire, elle me fait tellement pitié (une fois par an, ce n’est pas trop demander).
Je m’assieds et me tiens droite comme une Princesse-au-petit-pois (Maman serait trop fière de moi), le garçon nous apporte la carte et Tante Babette demande « Que veux-tu ? » et comme chaque année je réponds « Je ne sais pas, choisis pour moi ».
Elle commande invariablement des madeleines avec un Lapsang Sushong pour elle et un chocolat chaud pour moi.
J’en ai le cœur au bord des lèvres, mais je me force à manger tout ce qu’il y a dans mon assiette et boire toute la tasse sans respirer (je suis si bien élevée).
Je déteste le sucré (si elle savait) mais quand je vois ma pauvre Tante Babette grignoter sa madeleine et siroter son thé je me dis que, une fois par an, je peux bien faire un effort.
Mais pourquoi a-t-elle inspiré comme une baleine en entrant, alors ?
Peut-être qu’elle aussi préfèrerait aller au Mac Do ?