Détachement (Tisseuse)
Ce matin, pour la première fois depuis longtemps, j’ai imaginé que mon père était plus gaillard. Il prenait son épouse par la main…
Je crois bien ne les avoir jamais vus se tenir la main, mais comme un couple du siècle d’avant : sagement bras dessus bras dessous.
Il prenait donc son épouse par la main, et l’entraînait dans une joyeuse cavalcade, enserrant un petit brin de muguet dans leurs doigts joints.
Depuis combien de temps n’a-t-il plus offert de fleurs à sa femme ?
Ma mère se laissait faire et riait à ses facéties.
Comment, elle ne le rabroue pas, en lui disant de cesser ses bêtises !
Bref, comme des gens heureux de vivre !
Cependant, ils sont toujours les mêmes, avec leurs regards tristes, et leurs mots sans espoir.
J’avais envie de les suivre, et j’attrapais la main tendue, dans une ronde enfantine et simple.
Mais il n’y a pas de main tendue, il n’y en a pas eu souvent, et il n’y en aura plus.
Là je pourrais leur dire « papa, maman, je vous aime ! », sans avoir envie de les ramener à la vie par cet appel.
Mais ils sont toujours en vie.
Là je pourrais être une enfant.
Mais je suis leur soutien depuis que je suis si petite.
Je pourrais lâcher leurs mains, leur faire un petit signe, puis aller ma route.
C’est ce que je fais, dans ce détachement qui va croissant…