"un train nommé désir " ( Alceste)
Quand j’avais 17 ans je ne savais pas que j’étais belle ; quand je l’ai découvert il était trop tard .
Je n’imaginais pas qu’un garçon puisse me trouver intéressante, moi j’avais très envie qu’on me prenne dans les bras et poser ma tête sur une épaule comme dans les films .Parfois il y en a un qui venait me voir mais c’était juste parce que j’étais la meilleure du lycée .Pourtant parfois je surprenais des regards que je ne comprenais pas , furtifs , qui se détournent vite , presque coupables .
Ma famille est d’origine modeste, nous avions l’obsession de la réussite sociale. Mon père surtout, qui s’est fait tout seul comme on dit en traduisant un anglicisme. Pour nous les filles pas d’obstacle aux études, mais l’espoir partagé finalement, de fonder une famille heureuse selon certains critères préétablis .Un jour je l’ai rencontré lui, dans la bibliothèque du lycée, il était gentil, et timide, pas spécialement beau, mais il a osé et j’ai laissé sa main se poser sur mon cou.
Nous avons fait ce qu’on attendait de nous, et nous voilà tous sur le quai de cette gare en famille accomplie.
Je viens de croiser le regard d’un homme qui me fixe, sans aucune gêne, attendant patiemment que je m’intéresse à lui .Et c’est ce que je fais avec une impudeur totale , le détaillant goulûment .Négligemment habillé d’une veste sombre, d’une chemise dont les deux premiers boutons sont dégrafés, laissant deviner une mâle pilosité , un pantalon à pince qui souligne une taille fine , des cheveux un peu longs et en désordre et des yeux clairs qui éclairent un visage anguleux à la peau légèrement halée ,il a un petit sourire désabusé. Il tient un livre à la main dont il ne lève les yeux que pour me regarder avec cet étrange sourire triste.
Nos yeux s’embrassent et le sourire s’accentue, le mien vient le nourrir.
Je viens de découvrir ce que le mot aimer veux dire, je viens de me sentir belle dans le regard d’un homme, désirable et désirée.
Quand il est monté dans le wagon il m’a regardé une dernière fois et il a juste cligné des yeux .Je ne savais pas ce que plaire voulait dire, mais il est trop tard maintenant. Je suis sur le quai avec ma famille « accomplie » et je regarde une belle silhouette penchée à la fenêtre du compartiment, bientôt elle ne sera plus qu’un vague souvenir.