Les yeux fermés (Marie-Aude)
« Avancer lentement. Poser un pied devant l'autre. Sans dévier. Surtout ne pas dévier. Ne pas quitter cette mince bande d'asphalte grise qui se balance comme un pont de rondins suspendu entre deux rives. Oublier le monde des bien portants. Pénétrer dans celui de la douleur, de la peur et des sanglots contenus, celui de la maladie qui n'a pas de nom, de l'angoisse qui tord le ventre et déchire les pages blanches du futur.
Avancer toujours. A petits pas comptés. Si je parviens à traverser la place sans dévier de ma route, si je parviens à garder le cap avec les yeux fermés, alors c'est sûr je guérirai.
Douze, treize …Surtout ne pas dévier. Depuis des mois que j'emprunte le même chemin, j'ai eu le temps de les compter, les pas qui séparent l'arrêt de bus, de l'entrée de l'hôpital. Dix-huit, dix-neuf … Les passants me prennent sans doute pour une folle. Je m'en moque. Je veux juste mettre toutes les chances de mon côté. Vingt, vingt et un … Plus que dix pas et je saurai.
Mon médecin me dit que ma guérison dépend aussi de moi. Alors voilà, je fais tout mon possible. Pour le reste, désormais c'est son problème, plus le mien. »