Trop chaud (Marie-Aude)
Je suis restée une heure environ dans la salle de bains. Les néons me renvoyaient l'image d'une fille entre deux âges, ni belle ni moche, trop maquillée sans doute, trop souriante aussi. Aguicheuse, excitante, un rien provocante dans son jean trop moulant. « Un cul de princesse » dit toujours le vieux Jo qui sait de quoi il parle.
Il fait chaud ce soir, une torpeur moite engourdit la ville. De la fenêtre de la minuscule chambre où Jo m'enferme entre deux clients, je regarde les garçons qui tchatchent dans la rue. Tous des tordus ces mecs! La dope dans la canette et les mains dans le cambouis. Ils ont arrêté leurs motos au milieu de la rue et se sont assis sur les marches de l'église, tout au bout de l'impasse. Je les entends qui rient et qui discutent entre eux. Jamais ils ne rentrent dans le bar de Jo. Trop cher. Dommage ! Moi ça me dirait bien une ou deux passes avec ces jeunots; ça me changerait des vieux notables, avec leur bedaine trop molle et leur désir si flasque.
Parfois je rêve que le beau Tony m'emporte sur sa moto rouge, la plus belle, la plus grosse, la plus puissante de toutes. On irait à la plage, on roulerait sur le sable en s'embrassant comme deux gamins. Et puis Tony me prendrait par la main et lentement, en nous souriant du regard, nous pénétrerions ensemble dans la mer, attentifs au seul plaisir de la caresse des vagues sur notre peau.
Mais Tony ne regarde pas les filles. Il brique son moteur, et la sueur ruisselle dans son cou, sur ses joues, sur son torse velu. J'ai chaud. Des clients sont entrés dans le bar de Jo. Dans quelques minutes je sais qu'il m'appellera. Alors je retourne dans la salle de bain pour ajuster mon maquillage. Mon rimmel a coulé. C'est bête, la chaleur, moi ça me fait toujours un peu pleurer.