Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Paroles Plurielles
18 avril 2007

Vire... tu oses ! (Plum')

Et maintenant, ça suffit ! Huit ans qu’il joue du Sinatra, Platters, Armstron, engoncé dans un smoking impeccable, une rose rouge à la boutonnière. Huit ans qu’il observe ces femmes trop fardées, aux mouvements maniérés, aux rires de gorge et aux regards un brin provocants. Huit ans qu’il assiste au manège de tous ces types dont la gestuelle indique ce pour quoi ils sont venus. Un milieu de noctambules aux désirs ardents et inavouables mais tamisés par la moquette épaisse et l’éclairage adouci. Un lieu de rencontres passagères propice aux confidences entre deux verres de martinis-dry avec une tranche de citron et une olive, entre deux coupes de champagne millésimé. 

Il est celui que l’on ne voit pas, il n’est qu’une paire de mains sur des touches bicolores. Il fait partie intégrante du demi-queue noir, comme le frère siamois de l’instrument. Les pourboires tombent dans la corbeille posée sur le piano et les « bonsoirs et bonne nuit » lui sont adressés sans aucun regard.

Lui, il rêvait de concerts, d’opéras, d’orchestres symphoniques. Il se voyait dans les salles Gaveau, Pleyel, porter des oeuvres à bouts de doigts. Il aurait tant voulu jouer le Requiem de Mozart à la cathédrale d’Amiens, avoir une vraie relation d’amour avec son instrument afin que le piano livre, à travers la douleur de ses doigts, le meilleur de lui-même. Malheureusement, il faut croire qu’il n’était pas assez talentueux pour être reconnu.

Pourtant, il s’était présenté, à une époque, à tous les concours auxquels il pouvait se rendre. Il avait même failli faire partie de l’Orchestre Philarmonique de Radio-France, au début des années quatre-vingt, mais on lui avait préféré un Australien. Il s’était alors rendu à l’évidence : la musique classique ne voulait pas de lui.

Depuis, il donnait des cours de piano à des mômes aussi motivés par le solfège qu’ils pouvaient l’être pour les épinards du vendredi à la cantine scolaire.
Les femmes qui avaient traversées sa vie avaient toutes été séduites par le musicien mais leur passion avaient duré le temps d’une trille et puis adieu. Elles ne comprenaient pas la passion des notes qui le liait à son piano et finissaient par claquer la porte, la valise à la main, dans un style Rossinien très « tragédie-lyrique ».

Mais maintenant, cela suffit. Il va s’acheter une guitare et il prendra des cours, tranquillement, chez son vieil ami gitan Lény.

Peut-être arrivera-t-il, un jour, à en jouer comme Django...

Publicité
Commentaires
M
Quel drame, j'avais omis de lire le tien ! L'écrit de ma Plume préférée !<br /> Et aucune déception, j'ai senti l'ambiance feutrée et l'énervement intérieur de cet homme qu'on oublie, de cet homme tapisserie...<br /> Comme d'hab, bravo Plum' !
F
malheureusement, on peut être très talentueux mais inconnu ! Il y a aussi une question de chances, de relations, de communication et sureté de soi.
S
je me suis aussi laissée séduire par le charme du personnage et du texte.
S
J'aime beaucoup les mômes " aussi motivés par le solfège qu'ils pouvaient l'être par les épinards à la cantine scolaire."Et les ruptures façons "tragédies lyriques" qui émaillent la vie de ton personnage.
A
Une version remodelée du "Je m'voyais déjà..." d'Aznavour....Très réussie car persévérante !
Publicité