Solitudes (Lionel)
Assis sur ce banc, je regarde les pigeons passer. Le temps n’est plus qu’un long battement d’ailes sans fin. Le monsieur à côté de moi est si vieux que son visage est parcheminé. Ses mains rigidifiées, dans un geste
accueillant, ont été tant de fois déçues. Il ne peut plus les fermer.
Je tente un « bonjour ». Pas de réponse. Ses lèvres se seraient-elle fermées dans un silence infini? Ses cordes vocales, à force de ne plus servir, seraient-elles devenues plus fines qu’un cheveu?
« - S’il vous plaît, parlez-moi. Vous voyez bien que nous sommes seuls qu’il n’y a plus que nous qui nous voyons. »
Le vieux reste figé dans un silence mutique. Il ne tourne même plus la tête.
Ses yeux refusent de rencontrer les miens. Peut être finalement qu’il n’entend plus à force de rester, là, seul, sur son banc de bois, à attendre un ultime signe de reconnaissance.
Serait-ce moi qui pense avoir la parole, qui pense activer mes lèvres alors qu’elles restent collées comme un paillon mort qui ne peut plus s’envoler?
Il faut absolument que je lève la main. Je n’y arrive plus. Je veux me faire bercer par les bras du vieux mais je ne peux plus bouger. Je regarde devant moi. Je me rends compte qu’il y a une vitre qui me sépare de l’horizon. « Une porte ? » Je ne l'avais jamais vu. Je lis sur un écriteau :
« Fermé pour cause de vacances annuelles »
Soudain je prends conscience de la vérité, je ne suis moi-même qu’un pantin que le vendeur a posé sur un banc pour nous rendre vivants lorsque les clients nous aperçoivent.
« Seule l’écriture nous sauvera de la gueule de bois. Le vieux et moi.
L’écriture et un marionnettiste qui nous prêtera sa voix. »