17. Vertigo. ( Kloelle)
Mauvaise surprise, le quai du métro est noir de monde !
J’aimerais
croire que j’ai un autre choix que celui de plonger dans cette bouche
humaine mais ce rendez-vous est important alors je me glisse, je me
fraye dans le reflux des corps qui vont et viennent au rythme indolent
des rames.
Je n’ai pas fait deux mètres que déjà mon bras droit
se perd entre le dos trapu d’un ouvrier chauffagiste et le sac vintage
d’une petite demoiselle aux cheveux trop bien lissés. J’ai cette
étrange impression de perdre les limites de mon corps, de le laisser
devenir une partie de celui des autres. Epaules contre épaules, corps
entrelacés contre leur gré, odeurs qui se confondent jusqu’à
l’écoeurement. Je coule, flasque et suintante dans la multitude. Je ne
suis plus que deux yeux qui cherchent une improbable issue…
Au-dessus
de ma tête des vitraux post modernes ouvrent ces drôles de catacombes à
un filet de lumière blanche. Je m’accroche un instant à ces angles
sévères et froids à la géométrie tranchante.
Un homme a posé sa
jambe contre la mienne, une longueur de peau, de chaleur, qui
transperce mes vêtements. J’éructe le dégoût de l’intime imposé, je
lève à nouveau les yeux pour fuir.
Les vitraux sont maintenant
inondés de soleil, triptyque inquiétant, singulière atmosphère de
cathédrale. L’astre perce les entrailles de la bête et par un jeu de
prisme et de miroirs semble viser et pointer ses sillons sur la foule.
Déjà,
un homme d’affaire bedonnant et perlant de sueur, qu’un rayon a piqué
en plein visage vacille et s’affaisse dans l’indifférence générale.
Le
feu déroule ses armes, mon regard se brouille, les corps se tordent,
les visages grimacent. Sous une balance en forme de caténaire un visage
sardonique m’oriente vers la porte des enfers.
Je sens l’angoisse qui s’incruste dans ma chair, la chaleur qui vient lécher ma peau.
La fin du monde, juste la fin du monde.
Je plonge, je m’enfonce, je ne suis plus.