Debout (Eponae)
Ce matin pour la première fois depuis longtemps je me suis mise debout. Cela faisait un mois que j'attendais ce matin. C'était mon objectif absolu depuis que le médecin avait prescrit un mois d'alitement strict, le temps que ma double fracture de la colonne ne se consolide.
Un mois allongée, ça fait
beaucoup de temps pour réfléchir. La situation me semblait assez irréelle. Heureuse
de m'en sortir à si bon compte, je me sentais totalement impuissante,
dépendante, fragile. Mes bras et jambes gesticulaient en permanence comme pour
compenser.
Il me vint alors à l'esprit,
l'image d'un nouveau né, vociférant et agitant frénétiquement ses membres.
J'étais une voix et du mouvement dans l'immobilisme.
Le parallèle n'était pas si
stupide, n'étais-je pas retournée dans le giron familial. Auprès de ma mère qui
s'occupait de me nourrir, me laver, non pas de me changer mais m'assistait
lorsqu'il le fallait. Veillant toujours à portée de voix.
Pour être honnête, mon objectif
ce sont les toilettes. Ca peut paraître ridicule… pourtant perdre cette
autonomie ce fut la chose la plus traumatisante. Une fois l'humiliation
dépassée, il reste quand même la gêne et surtout la frustration.
Quand on grandit il y trois
étapes fondamentales : parler, marcher et la propreté. J'en avais perdu
deux sur trois et aujourd'hui je compte bien faire d'une pierre un coup.
Je suis surexcitée. Ma mère est à
côté de moi qui veille à ce que je ne grille pas les étapes. Je souris car elle
est là, à nouveau, pour mes premiers pas.
D'abord s'asseoir et rester sage
quinze minutes le temps de vaincre les vertiges et ressentir mon dos. Enfin, je
me met debout et vacille, il me faut réapprendre l'équilibre. J'avance pas après
pas, je longe le couloir et dépasse les toilettes, attirée par autre chose.
La lueur du soleil sur la
terrasse, la chaleur sur ma peau et à mes pieds mon ombre qui danse pour moi.
J'ai la tête qui tourne, mes muscles amoindris par l'immobilité me font
souffrir, je découvre que la voûte plantaire peut être saisie de plusieurs
crampes en même temps. Mon corps me fait mal pour se rappeler à moi, je suis
là, je me dresse face au soleil et je suis si heureuse.